Ma vie rouge Kubrick : Plutôt «ma vie» que «Kubrick»
Livres

Ma vie rouge Kubrick : Plutôt «ma vie» que «Kubrick»

L’auteur se penche sur ce chef d’oeuvre de Kubrick dans le but de mieux comprendre l’horreur qui a habité sa propre vie.

Le titre de l’essai de Simon Roy est malheureusement représentatif de l’œuvre suivant ledit titre : Ma vie rouge Kubrick, c’est beaucoup plus un essai sur la vie de l’auteur en question plutôt qu’une analyse poussée de l’œuvre de Kubrick, ou plus précisément de son chef d’œuvre The Shining, adapté d’un manuscrit de Stephen King envoyé au géant du septième art pendant les premiers stades d’édition de ce roman du maître de l’horreur.

Je dis malheureusement sans grande amertume ni regret. Il faut juste passer à travers un petit choc; celui de savoir qu’il ne s’agira pas d’une analyse poussée de l’œuvre comme lorsque Helen Faradji s’attaque aux frères Cohen et à Tarantino. Il s’agit plutôt d’un exorcisme familial, nécessaire pour l’auteur, qui s’applique et réussit majestueusement à raconter l’histoire tragique et attristante de son rapport complexe avec sa mère, qui s’est enlevée la vie après une existence difficile liée à un traumatisme de jeunesse issu du meurtre sordide et violent de sa propre mère.

Le livre assure toutefois en contenu lié à Kubrick et à son film mettant en vedette un terrifiant Jack Nicholson attiré et emprisonné par la violence dans un délire raconté cinématographiquement avec une main de maître. Et encore là, il ne s’agit pas nécessairement d’analyse poussée à propos de l’œuvre lorsque l’auteur s’y attarde. En plus des anecdotes et des informations techniques sur le film (la redondance non-négligeable du chiffre 42, les références à d’autres œuvres, les potentielles interprétations), l’auteur dresse des liens avec sa propre histoire sordide, la violence cyclique de Jack se retrouvant dans la chronologie morbide de ses racines familiales marquées par un sang rouge Kubrick (rétroactivement, évidemment).

En soi, il n’y a aucun problème à discuter de l’impact terrible et duel que peut avoir une mère sur notre vie. Seulement, cela prend généralement quelques rencontres, une intimité établie sur des bases solides. Utilisons un exemple qu’une génération entière ne pourra jamais vraiment comprendre : disons que je ne m’attends pas à avoir une discussion avec un autre cinéphile sur les effets troublants des gestes de nos géniteurs en me rendant au club vidéo du coin. Le cinéma a cette qualité qu’il est suffisamment grandiose et étanche pour qu’il nous permette de constater, analyser, et discourir sur nos plus grandes angoisses sans jamais les nommer directement. Une œuvre universelle donnera l’impression à chacun qu’elle touche qu’elle raconte son histoire à elle ou lui, spécifiquement.

Tel est le cas de Simon Roy : l’appât de Kubrick va attirer des poissons affamés de discussion cinématographique, mais ces bêtes gourmandes tomberont dans un tout autre bateau, où Stanley Kubrick influence, de loin, les choix décoratifs et peut-être même la direction générale. Mais tel est le sort d’un géant comme Stanley Kubrick : le nombre d’embarcations qui se proclament de son oeuvre est incalculable, et le travail de Simon Roy lui rend justice. Sauf qu’on est clairement sur son bateau à lui, et pas sur le navire effrayant, massif et monumental de Kubrick.

En tous cas, ça vous donnera envie de revoir The Shining.