Québec en toutes lettres / Gros-Câlin : Amours reptiliennes
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Québec en toutes lettres / Gros-Câlin : Amours reptiliennes

Un comédien et metteur en scène, un défi littéraire et théâtral de taille: mettre en scène l’œuvre de l’auteur de la plus grande mystification littéraire du 20e siècle. Ou quand Pascal Contamine se frotte à Romain Gary (Émile Ajar) et son Gros-Câlin.

Jouée pour la première fois à Québec, Gros-Câlin ou Conférence sur la solitude des pythons dans les grandes villes représente tout un travail d’adaptation, même pour un grand admirateur de Romain Gary comme Pascal Contamine. «La pièce a été créée en 2009, mais j’ai eu l’idée en 1991, lors d’un atelier de monologue à l’École nationale de théâtre. J’avais le goût d’adapter un roman et je me suis mis à relire Gros-Câlin. Ça se prêtait incroyablement bien à un monologue théâtral. J’ai monté plusieurs pages et je me suis dit qu’à ma sortie de l’école, je monterais la pièce. Finalement, c’est resté dans les tiroirs pendant 14 ans…»

En 2009, Pascal Contamine cherche à créer une pièce plus simple, plus sobre. Comme Michel Cousin, personnage principal de Gros-Câlin, il a 37 ans. La coïncidence ne lui est pas étrangère. C’est ainsi qu’il reprend son idée et monte, avec sa compagnie CIRAAM, ce spectacle solo dont il signe l’adaptation et la mise en scène, en plus d’incarner Cousin.

«On imagine, à la lecture du roman, que c’est un psy qui a proposé à Michel Cousin de parler de sa vie. Il utilise des apartés, il interpelle le lecteur, alors la formule de la conférence s’imposait d’elle-même.» Pour adapter le style particulier de Gary sous la plume d’Ajar (voir encadré), Pascal Contamine a dû couper beaucoup dans le texte. «On dit souvent que Gary a des redites, il paraît selon l’anecdote qu’il dictait ses romans. En plus, sur le plan narratif, Gary a décidé que le narrateur n’irait pas en ligne droite. Il épouse plutôt la façon qu’ont les pythons de se promener, un parcours sinueux, où le narrateur s’enroule, fait des anneaux, à la limite des nœuds.»

Pour mettre en scène cet exposé où le propos cache bien autre chose, Pascal Contamine a amalgamé les deux lieux les plus importants du roman, soit l’appartement de Cousin et son bureau, et a créé un terrarium. «J’ai mis Cousin dans une boîte, comme un serpent. C’est aussi à l’image de la vie urbaine où nous vivons dans des petites boîtes.» Ce parallèle n’est pas innocent: déjà dans son roman, Gary pousse à l’extrême la représentation de la solitude, inévitable dans la vie urbaine moderne. «Avec son humour décapant et imagé, l’auteur présente ces pathologies, ces névroses qui naissent du difficile rapport aux autres et à la solitude.»

Ce personnage pitoyable de Michel Cousin, qui vit dans son monde, totalement déconnecté des autres, fait vivre tout un parcours au spectateur. «Il est un peu comme E.T., on le trouve horrible au début et à la fin on s’attache!» rigole le metteur en scène. «J’ai construit le personnage en le rendant antipathique, c’est un être introverti, un peu plate à la limite. Plus la pièce avance, plus on retourne le gant, on voit à l’intérieur toute la sensibilité, l’imagination dont Cousin fait preuve. Chez Gary, il n’y a jamais de salaud. Comme beaucoup de personnages de l’écrivain, Cousin a besoin d’amour. Il rampe dans le bureau, on est attendri, puis on le prend en pitié. On se rend compte qu’il est constamment dans le mensonge… puis, il y aura un coup de théâtre, mais je ne dirai rien!»

Quant au personnage qui donne son nom au titre, Gros-Câlin (le python de deux mètres de Michel Cousin), il serait faux de penser qu’il ne s’agit que du serpent qui apporte à Cousin l’affection dont il a avidement besoin. Pascal Contamine explique: «Si on porte une oreille attentive, je crois qu’on se dirige vers une autre lecture de la pièce. Sans rien dévoiler du punch final, il y a deux Gros-Câlin dans la pièce. C’est l’idée de douce folie, de psychose: Cousin souffre d’un dédoublement de personnalité, il s’identifie au serpent.» Le titre de la conférence est trompeur: les pythons ne sont pas forcément des animaux…

Gros-Câlin ou Conférence sur la solitude des pythons dans les grandes villes: les 9, 10 et 11 octobre à 21h Premier Acte

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Le coup du siècle

Dans les années 1970, Romain Gary est considéré comme un écrivain usé. Lui qui a gagné le Goncourt en 1956 pour Les racines du ciel décide de publier, sous le pseudonyme d’Émile Ajar, un premier roman, Gros-Câlin (1974), à l’insu de son éditeur. L’année suivante, toujours sous le nom d’Ajar, il publie La vie devant soi, qui remportera le Goncourt. Seul écrivain à jamais avoir remporté le prix deux fois, Gary cachera toute sa vie la supercherie. En l’honneur du centenaire de sa naissance et de son coup littéraire fumant, le festival Québec en toutes lettres en a fait le thème de cette année, «Doubles et pseudos».