Sarah-Maude Beauchesne : "J'ai 24 ans, je fais l'amour souvent"
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Sarah-Maude Beauchesne : "J’ai 24 ans, je fais l’amour souvent"

Le Lion d’Or accueille la 5e édition du Soir de coutellerie, une mise en lecture des textes du blogue «soft-sexu» Les Fourchettes, de Sarah-Maude Beauchesne. Intimité, féminité, dévoilement de soi, sexe et amour sont au menu. L’auteure nous a accordé un sympathique entretien.

Le blogue a un succès considérable; les soirées au Lion d’Or aussi. Sans doute est-ce dû à l’écriture sans filtre de Sarah-Maude Beauchesne, jeune rédactrice chez Sid Lee qui, du haut de ses 24 ans, écrit avec ses tripes, à la recherche de l’«authenticité pure».  Peut-être craque-t-on aussi pour ses longues phrases sans ponctuation, son écriture en spirale qui crée un rythme agité et un souffle continu. «J’écris comme ça naturellement, dit-elle, et d’ailleurs je me demandais, la première fois, comment les comédiennes allaient réussir à s’approprier ça. Or, c’est si beau des comédiennes; elles ont une telle intelligence du texte, elles savent faire respirer ça et faire toucher mes textes au sublime avec un naturel fou. Elles sont des magiciennes.»

Faut dire qu’elle n’a pas choisi les pires actrices du bottin de l’UDA. Anne-Elisabeth Bossé, Rachel Graton, Julianne Côté, Catherine Brunet, Ines Talbi, Noémie Yelle, Emilie Carbonneau et Joëlle Paré-Beaulieu forment le puissant octuor qu’elle a réuni pour la soirée du 7 décembre. Des femmes fortes, pour porter les mots d’une auteure dont les écrits sont texturés d’une féminité hyper-assumée. Certes, il y a du sexe et des corps exaltés dans les textes de Sarah-Maude Beauchesne, mais elle se reconnaît mieux dans l’étiquette d’auteure féminine que d’auteure érotique.

«Je ne me suis jamais considérée comme une auteure érotique, dit-elle. Mais je suis une fille, j’ai 24 ans, je fais l’amour souvent. Je fais de l’autofiction, de manière naturelle et épidermique, alors mes histoires sont teintées de sexe et nécessairement d’une perception féminine de la sexualité et des relations de couple. C’est inévitable pour moi de parler de ces choses-là parce que mon objectif est surtout d’être spontanée, authentique et vrai. C’est infini, ce qu’on peut explorer au sujet de soi-même à partir de sa propre sexualité. Je pense que le sexe est au centre de nos vies, du moins dans la vingtaine, et qu’il définit nos relations sociales, nos curiosités, nos amours, nos rivalités, nos haines.»

 

Rivalité, quand tu nous tiens

La rivalité au féminin, justement, est sans doute le thème qui lui a inspiré les histoires les plus fertiles. «C’est tellement puissant, tellement violent, ce sentiment de compétition qui m’assaille souvent que je ne peux pas faire autrement que de comprendre que ces rivalités, ou que cette émulation, me définit profondément. Pourquoi ai-je besoin de me demander si je suis meilleure, ou plus belle, que l’autre? Je m’arrête souvent pour me poser la question – elle me paraît toujours apte à régler des problèmes avec moi-même, à me repositionner, à dompter mes insécurités et à comprendre mon rapport avec les autres filles. Toutes les filles se comparent constamment aux autres; c’est un sentiment impossible à contourner.»

La tyrannie de l’image et de la visibilité, ou la marchandisation de soi sur les réseaux sociaux, sont aussi des thèmes qui traversent son écriture, laquelle scrute, sans en avoir l’air, les comportements nouveaux charriés par une vie virtuelle envahissante. «J’écris à ce sujet sans avoir l’intention de le faire, précise toutefois Beauchesne. Il n’y a aucune prétention sociologique dans mon geste d’écriture, qui se veut toujours immédiat, direct et libre, ou même un peu impulsif.»

Son rapport au sexe est infiniment libre, mais elle est aussi à la recherche de l’amour pur avec un grand A. «L’un ne va pas sans l’autre», pense-t-elle. À ses yeux, le sexe au féminin ne s’envisage jamais sans affection. «On peut en débattre longuement, mais pour moi c’est clair. Le sexe pur, dénué de sentiments, n’existe pas pour moi.  C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne fais pas une littérature strictement érotique dans laquelle, par exemple, je prendrais un paragraphe à décrire une pipe. Ça ne m’intéresse aucunement. Les technicalités du sexe n’ont pas beaucoup de valeur littéraire à mes yeux. À moins que je n’aie encore jamais lu quelqu’un qui sait le faire bien?»

 

Fiction ou réalité?

Elle a beau revendiquer le caractère autobiographique de ses textes, il y a évidemment du romanesque dans son écriture. «Je pense, dit-elle, que le personnage qui s’exprime dans mes textes est une version exagérée, gonflée et humoristique de moi-même, et je l’écris au risque de passer pour une folle parfois. Je fonctionne de la même manière quand j’écris pour les ados (NDLR : elle est l’auteure de Cœur de slush, paru aux éditions Hurtubise). Je pense qu’il y a du vrai et de l’authentique qui se dégage de l’hyperbole. Les émotions sont plus éloquentes quand elles sont exacerbées au maximum.»

Elle est consciente, toutefois, de dépasser parfois les bornes, de faire preuve d’une intensité déconcertante. «Ce que j’aime beaucoup d’ailleurs, de Maxime Dumontier qui fait la mise en scène de la soirée Coutellerie, c’est qu’il sait doser ces excès-là. Non seulement il apporte un point de vue de gars, qui est bienvenu dans un projet aussi excessivement féminin, mais c’est un gars calme, patient, sensible, taciturne et assez typiquement masculin (un vrai dude), qui ne se gêne pas pour me dire quand il trouve mes textes excessifs ou quand il trouve que j’ai l’air d’une criss de folle trop intense.»

Autofiction, certes, mais aussi autodérision. C’est ça, Sarah-Maude Beauchesne.

 

Soir de coutellerie 5, au Lion d’Or le 7 décembre à 17h et 20h