Marie-Christine Arbour : Chinetoque
Livres

Marie-Christine Arbour : Chinetoque

Si les authentiques écrivains sont ceux que l’on reconnait en un seul paragraphe, Marie-Christine Arbour n’a pas à s’inquiéter deux secondes de son statut. Dans un paysage littéraire où nombre de maisons d’édition gomment jusqu’à la perte d’identité le style de leurs poulains, l’écriture truffée d’aphorismes et de mots précieux – une écriture qui ne peut que la confiner à un lectorat relativement restreint – a quelque chose de téméraire et de radical qu’il importe d’applaudir.

Variation sur le genre de personnage marginal qui hante les précédents romans de l’auteure, Alice, l’héroïne de Chinetoque, n’arrive à prendre la vie au sérieux qu’au contact du mystère, celui, dans ce cas-ci, de Will, un séduisant Chinois. Sous son empire, la traductrice disciple de Baudelaire s’avancera jusqu’à la frontière des identités sexuelles (un thème qui rappelle Drag et Utop), là où le masculin et le féminin se confondent. Pétrie des obsessions de l’écrivaine, cette étrange et sensuelle histoire d’amour télescope les époques, multipliant les sauts dans l’espace et le temps au risque de parfois déboucher dans un cul-de-sac (pour le dire bêtement: il n’y a pas de véritable intrigue). Fidèle à son habitude, Arbour dépeint la pauvreté comme une forme démocratique du dandysme, sème les références à la musique classique et détaille la tenue de ses protagonistes comme s’il s’agissait d’une fenêtre grande ouverte sur leur âme.

Le spectre de la caricature – c’est le lot des écrivains qui marquent au fer blanc de leur style chacune de leur phrase – guette Arbour, au point où on réprime parfois un soupir d’exaspération en se demandant qui, dans la vraie vie, se fend d’aussi pompeuses remarques que «Le désir est une pulsion archaïque» (je le jure main sur la Bible: si mes amis discouraient aussi savamment de Klimt lorsqu’ils sont sous l’effet de la drogue que les personnages de Chinetoque, je leur en achèterais moi-même). Arbour n’est bien sûr pas tenu au réalisme et peut enfiler les lunettes qu’elle veut lorsqu’elle écrit un roman. Suffirait simplement qu’on voit moins la monture dépasser du bord de la page. 

Éditions Triptyque, 2013, 230 pages.

Chinetoque
Chinetoque
Marie-Christine Arbour
Éditions Triptyque