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Coupures en culture : le cri du cœur d’un jeune réalisateur

Je viens de recevoir ce texte de Xavier Dolan, qui s'apprête à tourner son premier long métrage, lequel fait écho à l'appel lancé par Anne Dorval à Tout le monde en parle dimanche dernier : « Qui se souviendra de nous? »

TORYFIANT

par Xavier Dolan

J'ai 19 ans. J'ai écrit un long métrage qui sera tourné à l'automne, une œuvre portant sur les relations mères-fils, et mettant en vedette des comédiens bien connus du public québécois. Je réalise et joue le rôle principal du film, en plus de le produire et l'autofinancer. À la veille du tournage, deux parfums se mêlent dans l'air que je respire : celui, capiteux, de l'excitation, et un autre, délétère, odeur de la peur. La peur de disparaître.

Les coupures du gouvernement Harper, pour les artistes d'ici, ceux connus et chevronnés comme ceux de la relève, encore dans l'ombre, sont un véritable fléau. Dans le vent de ces sabrages, nos cris de protestation soulèvent à l'évidence la révolte de plusieurs, et nos appels à l'aide font ricochet, nous fouettant au visage.

Le public bombarde de diatribes les tribunes, choqué par nos revendications, qu'il trouve injustes et capricieuses. Je ne peux que comprendre ce scepticisme. On s'empare du crachoir pour postillonner nos doléances, et dans la foulée nerveuse de leur expression, on oublie de s'énoncer clairement, de dire le pourquoi des choses, et de démystifier les gens.

Le show-business brille peut-être sous ses projecteurs, mais notre réalité n'est pas tissée de paillettes, loin s'en faut. Les visages célèbres de l'industrie enfilent au besoin une robe de satin (louée), car on ne peut se rendre nu à un gala, mais le lendemain matin, le cirque du pain quotidien recommence. Nous ne sommes pas à Hollywood, nous ne sommes pas à Paris. Le cover d'un magazine, le talon haut galopant, le bijou porté aux Jutra n'est pas synonyme de facilité ou d'aisance. Tout ça n'est que la facette superficielle du métier, le bonbon qui permet d'oublier l'autre côté de la médaille, et les médias n'ont souvent d'yeux que pour cette façade. On croit que les artistes mènent un train de vie exubérant, mais si tel est le cas de certains, la grande majorité d'entre eux vivent dans l'attente perpétuelle d'un projet digne d'intérêt. Ceux qui nous parviennent sont souvent vides de sens ; ils suggèrent des concepts éculés et des payes dérisoires. Apparaît parfois un projet alléchant, mais à peine y met-on sa signature qu'ils sont annulés ou remis aux calendes grecques, faute de financement. Les productions qui plaisent au spectateur moyen sont le fruit de batailles pugnaces, et les sourires du tapis rouge cachent presque tous la même angoisse. Les chanceux de notre faune, ceux qui travaillent régulièrement, se demandent jusqu'à quand durera leur veine, et voient au loin les jours de vache maigre se profiler. Les vingt mille autres au chômage trouvent sans doute fort ironique l'emploi des mots « enfants gâtés ».

Je suis d'une relève motivée, mais je ne peux me résigner à marcher vers un avenir aussi précaire. L'État nous spolie de nos subventions dans l'unique but d'empêcher la découverte et la floraison de notre identité, et ce pour injecter plus d'argent dans un plan d'armement rétrograde et belliqueux. Culture ou fascisme ? Le choix est ardu.

L'art forge le caractère d'une société. Il transmet son langage, sa quête et sa passion ; il est le miroir de la nation. Un film permet la fuite de la routine, la fuite de soi. En deux heures, un scénariste, un réalisateur, des techniciens, des comédiens et mille autres artisans créent de toutes pièces un univers qui devient le nôtre.

Sans subventions, la création de ces mondes parallèles ne serait pas possible. Sans la jeunesse qui en porte le flambeau, sans l'adultat qui en tient les rênes, sans les travailleurs qui le bâtissent, un pays n'est rien. Eh bien sans les mots qui hurlent sa langue, sans les images qui affichent sa couleur et sa texture, sans le chant qui élève sa voix, et sans les visages qui transsudent son message, le Québec n'est rien d'autre qu'un pays sans âme.

Dans cette lettre, je n'écris pas en tant qu'artiste au public. Je suis le public. C'est ce qu'il faut comprendre : il n'y a ni frontières, ni différence, ni champagne, ni divas ici. Que le désir de faire ce que l'on aime, et que l'on croit être le plus beau métier du monde. Finalement, et tristement, il n'y a que l'argent, et personne, à part peut-être les potentats du gouvernement, n'y a accès sans efforts. Il faut travailler pour l'avoir, et travailler dur. Il n'y a d'exceptions pour personne. Absolument personne.

Quelle est notre devise, déjà ? Je me souviens ? Alors souvenons-nous, et soyons solidaires, pour que le monde sache qui nous sommes, et qu'il ne nous oublie pas.  

Je termine ce pamphlet en citant Nietzsche : « L'art et rien que l'art, nous n'avons que l'art pour ne point mourir de la vérité. »