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Cannes 2009: Dépression au-dessus d’une forêt

 

J'ai bien cru qu'on finirait par s'échanger des coups à la conférence de presse de Lars von Trier. D'entrée de jeu, un journaliste américain a demandé à trois ou quatre reprises au réalisateur d'expliquer pourquoi il avait fait un tel film, d'autant plus que celui-ci était présenté à Cannes.

Sans perdre son sang-froid, alors que celui du journaliste bouillait, Lars von Trier, qui a expliqué avoir écrit et réalisé ce film sans conviction puisqu'il souffrait de dépression, a simplement répondu: "Je ne crois pas avoir à me justifier; je fais des films et je n'ai pas grand-chose à dire. Je fais des films pour moi et je ne dois rien à personne. Je suis le meilleur réalisateur du monde!"

Cette dernière phrase, le cinéaste la lancera à quelques reprises, le sourire aux lèvres. Plus tard, il dira: "Je n'essaie pas de dire quelque chose; il s'agit d'un rêve devenu film." Certes, Lars von Trier fait partie des grands réalisateurs de ce monde et son film Antichrist a saisi aux tripes les spectateurs cannois. Dégoût, indignation, colère sont parmi les émotions exprimées par le public.

Rarement le deuil aura été illustré au cinéma de façon aussi puissante, douloureuse et cauchemardesque. A tel point que l'oeuvre, qui mériterait le prix du Jury ou celui de la mise en scène, se révèle par moments, insoutenable, voire indigeste. Jamais von Trier n'aura été aussi loin dans l'horreur. Un journaliste a même demandé si l'oeuvre de Dario Argento était une source d'inspiration. "Non", a-t-il fait de la tête. Cette réponse déplaira-t-elle à Asia Argento, membre du jury?

Ces sources d'inspiration, il ne les cache pas: Strindberg et Tarkovski. D'ailleurs le public a éclaté de rire en lisant au générique d'Antichrist que celui-ci lui était dédié: "Tarkovski est un vrai dieu; j'ai vu Le Miroir plusieurs fois. Je me sens très proche de Strindberg, qui aimait beaucoup les femmes; je suis un très grand admirateur de cet auteur qui savait être très drôle et sérieux à la fois."

A voir ce qu'il fait subir au personnage de Charlotte Gainsbourg, l'une des scènes du film a d'ailleurs alimenté bien des blogues et des forums de discussions sur le web…, il est très difficile de voir Lars von Trier comme un amoureux des femmes. A propos de ce rôle exigeant qu'elle incarne avec ardeur – son nom revient dans les prédictions du prix de la meilleure actrice – , Gainsbourg répond: "J'étais prête à tout pour ce film. Le plus difficile, ce n'était pas les scènes de nudité ou de sexualité, ce sont les scènes de souffrance que j'ai trouvées les plus crues, mais je me suis laissée guider par Lars. Ce fut toute une expérience, très intense. Je savais que cela serait spécial et cela a été plaisant d'une étrange façon. Je ne crois pas un jour revivre cela."

"Charlotte allait un peu trop loin, mais je ne pouvais pas l'arrêter!" lance en riant von Trier. "On a pas beaucoup parlé, c'était comme un rêve, explique Willem Dafoe, Lars ne permet pas du tout de préparation. On fait la scène et il réagit à ce que l'on fait. Avec lui, on devient flexibles… C'est un grand cinéaste." "Le meilleur du monde!", lui chuchote à l'oreille von Trier.