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Cinemania 2011 : Voir la mer de Patrice Leconte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a quelques années, Patrice Leconte a confié qu’il voulait abandonner le métier de réalisateur: «C’était une vraie ânerie de ma part, m’a-t-il dit plus tôt cet après-midi. Après tout de vouloir arrêter, ça me regarde, alors c’était idiot d’en parler. Je ne sais pas pourquoi j’ai annoncé ça, mais c’était grotesque. Vous avez peut-être raison, peut-être que je voulais qu’on me dise : «je vous en supplie, n’arrêtez pas!»»

De passage à Montréal pour Cinemania, où il présentera Voir la mer en compagnie de la sculpturale et solaire Pauline Lefèvre (ex-Miss Météo de Canal+), le cinéaste profite également de son séjour pour travailler sur son premier film d’animation 2D relief, Le magasin des suicides, en collaboration avec ToutEnKartoon, d’après le roman de Jean Teulé.

Bien qu’il ait aimé tourné Les Bronzés 3 et La Guerre des miss, Patrice Leconte regrettait que ce ne soient pas des films personnels. Or, c’est sur le plateau de Voir la mer qu’il a compris qu’il n’avait pas perdu le goût du cinéma. Aux antipodes l’un de l’autre, Voir la mer et Le magasin des suicides ont tout de même un point en commun: tous deux traitent d’une bouffée de bonheur venant troubler la morosité ambiante. Ainsi, dans Voir la mer, une jeune femme (Lefèvre) vient quelque peu bousculer les vacances de deux frères (Nicolas Giraud et Clément Sibony); dans Le magasin des suicides, c’est l’arrivée d’un enfant joyeux au sein d’une famille sinistre qui bouleverse l’ordre des choses.

«Je ne peux plus imaginer de films qui communiqueraient une espèce de marasme, de manque de goût de vivre, de pessimisme. Ça doit être l’âge, je ne sais pas. J’ai besoin de communiquer le plus possible dans la vie des choses positives. Je ne dirais pas que c’est ma mission, mais c’est ma tournure d’esprit, mon caractère. Je ne peux plus faire autrement. Je trouve très agréable de raconter des histoires que l’on ne peut raconter que dans des films. Dans les films, vous pouvez faire ce que vous voulez aux personnages. C’est agréable de raconter des histoires plus belles que la vie. Ce n’est pas du tout pour endormir notre vigilance ou hypnotiser les spectateurs en leur disant: « la vie est belle, dormez tranquilles, braves gens». »

Patrice Leconte poursuit: « Je me souviendrai toujours de Wim Wenders à qui on avait demandé, alors qu’il était président du jury à Cannes, pourquoi il faisait des films – question un petit peu banale. Après avoir réfléchi un moment, il avait répondu qu’il faisait des films pour rendre le monde meilleur. Je m’étais dit qu’il ne s’embêtait pas, lui. J’ai réfléchi plus loin que le bout de mon nez et bien sûr, c’est lui qui a raison. Je ne crois pas qu’on puisse changer le monde en faisant des films, mais le rendre un petit peu meilleur en communiquant des choses positives. »

Des parenthèses enchantées, alors? «Pour le coup, c’est la meilleure définition possible pour Voir la mer. Une semaine de rêve, magique, suspendue hors du temps, l’été. C’est dans ce film-là que j’ai eu envie de communiquer le plus ces sentiments-là, la fameuse idée que les films sont plus beaux que la vie. C’est le hasard qui a mis ces projets-là en parallèle. Raconter l’histoire des trois personnages de Voir la mer, des gens jeunes qui ont à peine 30 ans, je n’aurais pas pu le faire quand j’avais moi-même 30 ans. Il fallait vraiment que j’aie du recul, de la maturité, que je sois largement l’aîné de ces personnages. Peut-être ai-je eu tort, je ne sais pas. »

Ayant fait ses premiers pas chez Pilote et ayant adapté Les Wécés étaient fermés de l’intérieur de Gotlib, Patrice Leconte revient en quelque sorte aux sources. Pourrait-on parler d’une renaissance pour celui qui a voulu s’éclipser? «Je ne sais pas si c’en est une; de toute façon, on ne peut renaître que lorsqu’on est mort. Ce qui a de vrai, c’est que le dessin tout court et le dessin animé m’ont toujours intéressé, passionné. Ce projet, sur lequel on travaille depuis quatre ans, m’enthousiasme. Je ne pouvais pas imaginer, même dans mes rêves les plus fous, qu’un jour, je serais en train de réaliser un film d’animation. Remarquez que ce n’est pas moi qui ai eu l’idée.»

Tandis que Le magasin des suicides possède le charme suranné des livres pop-up de notre enfance, Voir la mer évoque celui du cinéma des années 60 et 70 (Jules et Jim, Bande à part, Pauline à la plage): «Je ne l’ai pas fait sciemment, mais plusieurs journalistes m’ont dit qu’il y avait un côté post-Nouvelle Vague. Et c’est vrai que les films de Godard et de Truffaut m’ont tellement impressionné, je n’ose dire influencé, m’on tellement donné envie de faire du cinéma que si on se retrouve dans cette espèce d’insouciance-là, de plaisir à faire les choses à la légère, ce n’est pas le contraire de la Nouvelle Vague. Il y a un côté intemporel quand on est sur la route, avec un camping car; le film n’est pas très daté et ça me plaît bien. Quand ce trio-là se constitue, il n’y a pas de cynisme, pas d’arrière-pensée, de calcul, seulement ce plaisir inouï à profiter de l’instant présent, sans jalousie, sans rien, alors que les sentiments et le désir s’épanouissent.»

On remarque plusieurs éléments ludiques dans la mise en scène, tel ce concours de Petit Beurre, ces dialogues en voix-off et cette énumération des spécialités régionales: «Quand je pense au film que je vais faire, j’essaie toujours dans la mesure du possible de me poser cette question assez basique mais importante: comment le mettre en scène? Je ne crois pas du tout, et je suis même sûr, qu’on ne peut pas mettre en scène de la même manière Ridicule, La fille sur le pont, Le mari de la coiffeuse ou Monsieur Hire. Chaque fois, pardon, c’est un peu pompeux, il faut un projet de mise en scène. Pour Voir la mer, le projet de mise en scène, c’était qu’il n’y ait pas de projet, qu’on puisse se permettre tout. Les fantaisies formelles dont vous parlez et qui sont nombreuse dans le film, ce sont des choses que je pouvais faire dans Voir la mer mais que je n’aurais pas pu faire dans Ridicule, par exemple. Dans Voir la mer, il y a cette liberté formelle qui est l’écho exact de la liberté sentimentale des personnages.»

Une certaine désinvolture? « Ah! Désinvolture, j’aime bien! C’est un joli mot. Oh oui, je vais m’en servir!»

À voir ce soir, en présence du réalisateur et de l’actrice, à 19 h 30, au Cinéma Impérial. En reprise vendredi, à 13 h.