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Cannes 2013: L’heure magique de Michel La Veaux

Ce matin, avec mes confrères de la délégation québécoise, nous sommes allés voir Le démantèlement de Sébastien Pilote à la Semaine de la critique. Drame émouvant porté par le splendide Gabriel Arcand, qui trouve ici un rôle aussi puissant que Gilbert Sicotte dans Le vendeur, Le démantèlement a séduit le public de la projection de 11h à l’Espace Miramar. Ainsi, les gens ont-ils ri lors des interventions du truculent Gilles Renaud, qui incarne l’ami comptable de Gaby, celui qui ose lui dire le fond de sa pensée. L’émotion se faisait aussi sentir lors des échanges entre Gaby et ses filles, interprétées par Lucie Laurier et Sophie Desmarais.

 

Certes, le talent des acteurs, la gravité du sujet et la finesse de Pilote y sont pour beaucoup. Toutefois, il ne faudrait pas oublier la resplendissante lumière de Michel La Veaux (Ce qu’il faut pour vivre de Benoit Pilon, Trois temps après la mort d’Anna de Catherine Martin), laquelle confère à cet univers sans pitié une chaleur enveloppante. Lors des rencontres de presse, il est rare qu’on y croise ceux qui travaillent dans l’ombre des réalisateurs. Michel La Veaux étant présent à la projection, j’en ai donc profité pour parler avec lui de ce métier qu’il adore.

 

« Après avoir fait Le vendeur, qui était dans une tout autre tonalité, Sébastien et moi, on s’était dit que ce n’est pas parce que c’est une histoire triste que la lumière doit aller dans le même sens, qu’on va en remettre et écraser le spectateur. On a choisi de tourner à cette période de l’année afin d’obtenir la qualité de sa lumière; pour la pellicule, il n’y a pas de plus belle lumière que celle de l’automne. Je ne voulais pas tourner en juillet ni en août; on voulait tourner en pellicule, faire des plans larges, aller dans le western et c’est ce qu’on a fait. »

 

« Sébastien endossait le look et l’aspect western du film, a poursuivi le directeur photo. On a fait des repérages; on est tombé à terre quand on a vu cette maison-là. Après, il faut en sorte que dans le récit cinématographique tout tienne le coup, peu importe les changements de température. Que ce soit dans la maison de Gaby ou dans la grange, c’est éclairé de façon à que ça ait l’air naturel. Il y a des grosses sources qu’on ne voit pas avec des gels de couleurs sur chacune des fenêtres; j’ai calibré ça en fonction des degrés de chaleur et de couleur. C’est un plaisir fou! Tous les décors, les costumes ont été faits en fonction de cette coloration. »

 

En entrevue, Sébastien Pilote affirmait que Clint Eastwood faisait partie des sources d’inspiration du Démantèlement, ce que La Veaux a confirmé : « Je me suis beaucoup inspiré des films d’Eastwood. Certaines prises m’ont été inspirées par Days of Heaven de Terrence Malick, qui avait la chance de tourner à la fin du jour, ce qu’on appelle la « magic hour », l’heure magique. On ne pouvait pas toujours tourner à cette heure-là, mais il fallait faire en sorte de préserver cette lumière chaude, douce et western qui, malgré le drame du démantèlement, est un hommage à la beauté de la vie. »

 

On sait que Malick a le temps et les moyens de faire rouler sa caméra jusqu’à ce qu’il saisisse l’instant de grâce – rappelez-vous la scène où un papillon se dépose sur la main de Jessica Chastain dans The Tree of Life… Or, au Québec, lorsqu’on tourne un film dépourvu d’un budget faramineux, c’est certainement plus ardu.

 

« Je veux soigner chaque image, je ne fais pas un travail technique mais un travail artistique. Et laisser durer les plans est un aspect important de ce travail. Ce n’est pas pour voler le show, au contraire, je veux faire des lumières tellement justes que je ne suis presque pas au-devant de l’histoire; c’est ce que j’essaie de faire tout le temps. Dans Le démantèlement, il y a des plans qui durent le temps qu’ils doivent durer. Sébastien est l’un des rares à le faire ici; je suis béni des dieux de pouvoir travailler avec lui. On ne le fait pas souvent faute de budget et du nombre limité de jours de tournage. Il faut de se battre parfois pour faire les plans qu’on veut. »

 

De magnifiques plans de la campagne ponctuent ce film qui épouse le rythme lent mais régulier du travail de cet éleveur d’agneaux qui se prépare à faire le sacrifice de toute une vie : « Sébastien me donne non seulement la chance de faire de longs plans qui sont beaux, bien éclairés, mais qui ont le maximum de signification. Moi, je veux faire des plans significatifs, pas des « beauty shots ». C’est ça, le langage du cinéma. Mon travail, c’est de donner ces plans à Sébastien Pilote. C’est une passion que j’ai, je suis fou de mon travail que j’exerce depuis 17 ans, je suis fou de la lumière! »

 

De toutes les scènes, Gabriel Arcand a vu son visage scruté sous tous ses angles par la caméra de La Veaux, captant la moindre de ses expressions, saisissant la moindre émotion dans son regard : « Autant les paysages en plans larges établissent le territoire sur lequel l’action se passe avec cette lumière chaude, autant le visage de Gabriel est un paysage, mais il faut que je l’éclaire de façon à que ça corresponde au reste. Je crois que les spectateurs ressentent beaucoup mieux l’histoire dans un plan significatif même lorsqu’il n’y a pas de dialogues. J’aimerais faire un jour un film sans dialogues où le langage du cinéma serait tellement juste que tout le monde pourrait comprendre. Le langage cinématographique, c’est un langage universel et je suis là pour le défendre. Je suis un directeur photo qui suit ses vieux maîtres comme Michel Brault et Jean-Claude Labrecque qui racontent des histoires en se servant de ce langage. »