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Cannes 2013 : Les sixties vues par les Coen

D’année en année, la popularité des frères Coen au Festival de Cannes ne se dément pas. Parmi l’un de mes souvenirs les plus marquants de ce festival demeure sans doute la fois où j’ai failli être broyée par une horde de journalistes en furie alors que nous tentions tous d’assister à la projection de No Country For Old Men. De peine et de misère, je m’étais trouvé un siège à l’extrémité gauche de l’écran au balcon – j’ai bien failli avoir un torticolis.

Le soir de la projection du jouissif Inside Lleywin Davis, incursion originale dans l’univers de la musique folk au début des années 60 à Greenwich Village, je m’étais donc rendue plus tôt qu’à l’accoutumée à la salle Debussy. Une fois de plus, je me suis retrouvée au balcon; heureusement, j’y ai trouvé un très bon siège. Moins chanceux, d’autres journalistes n’ayant pu entrer dans la salle ont dû se rendre à la salle Bazin où certains en sont même venus aux poings tant ils étaient enragés de ne pouvoir assister à ce film… Je vous rassure, ce genre d’incident n’arrive pas tous les jours.

Aucun film ne vaut la peine qu’on se transforme en bête sauvage, mais je dois dire qu’avec Le passé d’Ashgar Farhadi et Jimmy P. d’Arnaud Desplechin, ce nouvel opus des frères Coen s’avère l’un des meilleurs films de la cuvée 2013.

Campé en 1961, Inside Lleywin Davis met en vedette le prodigieux Oscar Isaac, qu’on a notamment pu voir dans Drive de Nicholas Winding Refn où il incarnait le mari de Carey Mulligan, dans le rôle d’un chanteur folk au caractère bouillant qui tente de faire son chemin. S’inspirant des mémoires de Dave Van Ronck, les frères Coen ont créé un personnage haut en couleurs à qui ils font vivre toutes sortes de péripéties, dont certaines impliquant un chat, en un récit picaresque teinté d’un irrésistible humour noir et ponctué de répliques assassines.

« Il y a plusieurs choses amusantes dans la musique folk. Ce qui nous intéressait, c’était les chanteurs moins connus. Nous avons un respect authentique pour la musique. Comme nous étions soucieux de ne pas avoir d’histoire, nous avons donc ajouté ce chat », expliquait Joel Coen.

« Depuis plusieurs années, avec Joel, on avait l’idée absurde d’un chanteur folk se faisant casser la gueule à la sortie d’un bar. Nous voulions retrouver qu’est-ce que c’était Greenwich Village en 1961 », a poursuivi Ethan Coen.

« Plus mon personnage souffrait, plus les frères riaient », se souvient Oscar Isaac, sans doute l’un des plus dangereux rivaux de Benicio Del Toro, extraordinaire dans Jimmy P., dans la course au prix d’interprétation masculine. L’acteur a aussi confié que l’un des six chats qui incarnait le matou en fuite lui avait griffé le visage.

« Nous rions beaucoup sur le plateau. Nous avons ruiné plusieurs prises. Le gars du son ne nous aime pas », a révélé Joel.

« Les chats avaient beaucoup d’exigences; ils ne voulaient pas manger n’importe quoi », a dit Justin Timberlake, sans doute l’un des plus drôles invités de la conférence, qui tient le rôle d’un chanteur formant avec le personnage de Carey Mulligan le duo folk Jim and Jean.

« Les chiens veulent vous plaire, tandis que les chats ne veulent plaire qu’à eux-mêmes : ils sont vraiment chiants », selon les dires de Joel Coen.

« Oscar a été plus facile à diriger que les chats, a révélé Ethan Coen, pince-sans-rire. Nous cherchions un acteur qui devait pouvoir chanter afin qu’on puisse le voir interpréter différentes chansons au complet dans le film. On était foutus jusqu’à ce qu’on rencontre Oscar. »

« On pense beaucoup aux acteurs en écrivant le scénario, parfois même à des acteurs spécifiques, a révélé Joel. On aime aussi écrire pour eux en leur créant un personnage différent de ce qu’ils ont déjà joué, qui vient du champ gauche, sachant qu’ils peuvent le faire bien qu’on ne les ait jamais vu le faire. »

Oscar Isaac voit ainsi son personnage :« Le personnage est construit à partir du contexte. À travers la musique, son âme se dévoile. En fait, la musique traduit la vie intérieure de chaque personnage. Leeywin est victime du mauvais timing et de la malchance, de plus il est autodestructeur et à cause de son souci d’authenticité, il a une relation ambiguë avec le succès. »

« Étrangement, Llewin souhaite le succès et l’échec, croit Justin Timberlake. Ayant commencé très jeune dans la musique, j’ai rencontré des tonnes de gens. Je crois à la théorie qu’il faut pratiquer quelque chose durant 10 000 heures avant de pouvoir se considérer expert. Pourquoi certains n’arrivent jamais à percer malgré cela? Le succès dépend aussi du fait de rencontrer les bonnes personnes au bon moment. »

« Votre sort peut parfois se jouer en une minute ou selon une critique parue dans le New York Times. Un soir, deux gars se présentent sur scène, l’un est crevé, l’autre en grande forme. Il s’agit de saisir le moment », conclut sagement T Bone Burnett, producteur exécutif musique du film.