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FCIAT 2013 : Père manquant, fille manquée

Parmi les belles surprises qu’a proposées le 32e FCIAT se trouve le premier long métrage du cinéaste belge Peter Monsaert, Offline. À partir d’une histoire de rédemption lui ayant été inspirée par plusieurs témoignages, le lauréat de la Licorne d’or (Grand Prix du long métrage) au Festival d’Amiens esquisse la difficile relation entre un homme tout juste sorti de prison, Rudy (Wim Willaert, vu dans La mer monte de Yolande Moreau), et sa fille de 19 ans qu’il n’a pas vue depuis sept ans, Vicky (Anemone Valcke).

« Le scénario a pris plusieurs années à s’écrire, notamment parce que je l’ai réécrit au sein d’un groupe où les gens me racontaient leur histoire, expliquait Monsaert, rencontré en début de semaine. Plusieurs de ces récits portaient sur la deuxième chance que la vie nous offre, les familles éclatées et les problèmes de jeu. Quelques hommes m’ont confié qu’ils ne voyaient plus leurs enfants et à quel point c’était douloureux pour eux. Lentement, le personnage de Rudy a émergé dans mon esprit; il a continué à se construire puis à vivre sa propre existence. Le meilleur moment dans l’écriture, c’est lorsqu’on a l’impression de voir le récit s’écrire de lui-même. »

Les retrouvailles de Rudy et Vicky n’auront certes pas lieu dans un cadre traditionnel. Ayant appris que sa fille paie ses études en vendant ses charmes en ligne, Rudy n’aura d’autre choix que de chatter avec elle en ayant pris soin de prendre pour pseudonyme le nom de son ami Rachid (Mourade Zeguendi), qui lui prête son ordinateur. Si le sujet peut paraître scabreux, Peter Monsaert ne joue pas du tout la carte du voyeurisme pas plus qu’il ne mise sur le misérabilisme : « En écrivant le scénario, il était hors de question que le film traite de webcam, c’est un film sur la communication et la webcam n’est qu’un des aspects de celle-ci. La scène la plus difficile à tourner, autant pour l’actrice que pour moi, a été celle où Vicky se dénude devant l’ordinateur afin d’exprimer sa colère. Bien qu’elle soit jeune pour jouer une telle scène tragique, elle avait la maturité de trouver cette colère en elle. Une fois la scène tournée, elle était fière d’elle, mais complètement vidée. »

Traitant de l’incommunicabilité, Offline met en scène des personnages qui sont tous à leur manière prisonniers de leur destin. Ainsi, Carine (Patricia Goemaere), ex-femme de Rudy et mère de Vicky, est prisonnière des secrets qu’elle cache à sa fille, de même que des mensonges qu’elle lui raconte depuis des années. Pour sa part, Vicky semble coincée dans ce mode de vie qu’elle s’est imposée et trouve de rares instants de liberté lorsqu’elle discute en ligne avec le prétendu Rachid. Bien que sorti de prison, Rudy demeure à son corps défendant en marge de la société. D’ailleurs, dès le premier plan, Monsaert nous montre une cage d’oiseau, rare possession de Rudy à sa sortie de prison. Par la suite, il cadre serré son acteur, le filme dans des endroits où il semble étouffer. Il en fait ainsi avec le personnage de Vicky que Rudy n’arrive qu’à voir sur l’écran de l’ordinateur. En fait, presque chaque plan illustre le sentiment d’oppression vécu par le père et la fille.

« L’oiseau en cage symbolise l’état d’esprit du personnage. Physiquement, Rudy est libre, mais mentalement, il ne l’est pas. Il a purgé sa peine et croit qu’il peut recommencer à zéro, mais il ignore l’énorme bagage qu’il transporte avec lui et qui lui pèsera de plus en plus. Il est confronté à tout ce qu’il a perdu, à tout le mal qu’il a commis », affirme le réalisateur qui puise son inspiration chez les Dardenne, Mike Leigh et Ken Loach.

Grâce à sa prémisse originale, au traitement sobre, au charisme de Willaert, magnifique clown triste, à la complexité des personnages et aux petites touches d’humour qui ponctuent Offline, Peter Monsaert signe un premier long métrage qui captive autant qu’il émeut. Si l’ensemble paraît à prime abord très sombre, il n’en demeure pas moins qu’Offline est traversé d’une belle lueur d’espoir. Qui plus est, jamais ne sent-on le moindre jugement dans le regard du réalisateur sur ses personnages.

« J’aime donner de la dignité à tous mes personnages; c’est trop facile de juger et ce serait trop facile aussi de faire un mélodrame très lourd. C’est au public de faire son propre travail et c’est pour cela que je leur offre une fin ouverte. Certaines situations sont si compliquées qu’on ne peut arriver avec une réponse simple et claire », conclut celui dont le prochain film mettra en scène trois personnages féminins.

Aux dernières nouvelles, Offline ne sera pas distribué au Québec, mais si jamais vous pouvez mettre la main sur le DVD, ne ratez pas votre chance de découvrir un cinéaste fort prometteur. À suivre…