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Cinemania 2013 : De Zlotowski à Farhadi

Alors qu’il tournait Grand Central de Rebecca Zlotowski dans une centrale nucléaire en banlieue de Vienne, Tahar Rahim regagnait Paris chaque week-end afin d’assister aux répétitions du Passé d’Asghar Farhadi. Voici un bref aperçu des impressions de tournage de l’acteur rencontré hier après-midi. :

Alors que chez Farhadi, on rencontre des personnages de femmes fortes, Rebecca Zlotowski a voulu explorer l’univers masculin qu’elle croyait avoir négligé dans Belle épine, comment avez-vous abordé son univers?

« C’était la première fois que je me faisais diriger par une femme et ça, ça change beaucoup de choses. Je me suis rendu compte du champ des possibles, de l’ouverture émotionnelle et sentimentale. Parfois, un homme ne voit pas une certaine sensibilité qui peut exister chez quelqu’un d’autre. Or, Rebecca voyait ça tout de suite; il y a quelque chose de féminin en moi que je n’avais jamais exploré et que j »ai appris à révéler.»

Votre personnage n’hésite pas à aller travailler dans une centrale nucléaire au péril de sa vie ni à s’engager dans une liaison avec une femme sur le point de se marier (Léa Seydoux), diriez-vous qu’il est suicidaire ou masochiste?

« Je dirais qu’il est suicidaire, téméraire, mais pas masochiste, car ce n’est pas quelqu’un qui aime avoir mal. C’est juste quelqu’un qui découvre l’amour et se rend compte jusqu’à quel point l’amour peut brûler. Du coup, il devient inconscient. »

Croyez-vous que Grand Central illustre d’une certaine façon la détresse des jeunes Français face au marché du travail?

« Dans le film, c’est comme un enrôlement, comme s’ils s’engageaient dans l’armée. C’est un témoignage de la situation en France où c’est très difficile de se trouver un travail. À preuve, les gens sont prêts à aller se brûler dans des centrales pour faire de l’argent. »

Y a-t-il eu autant de travail en amont avec Rebecca Zlotowski qu’avec Asghar Farhadi?

« Dans Grand Central, c’est un personnage plus incarné que composé que dans Le passé. Avec Rebecca, on s’était vu et parlé en amont pour que le personnage commence à s’installer à l’intérieur. Après, on a fait quelques lectures et quelques répétitions avec deux ou trois acteurs et c’était suffisant. »

Pour Le passé, le cinéaste exigeait de ses acteurs qu’ils inventent un passé à leur personnage. Qu’avez-vous imaginé pour cet homme engagé dans une liaison alors que sa femme repose dans le coma?

« On lui avait imaginé un passé de Français normal qui a fait un peu d’études qui n’ont pas très bien tourné, qui s’est retrouvé à travailler dans un pressing puis à en devenir le patron, a rencontré une femme, a eu un gosse. On a vraiment construit ce moment précis de la rencontre avec Marie, le personnage de Bérénice Bejo, puisque le passé immédiat est fort dans cette histoire. Ils se sont rencontrés au pressing alors qu’elle venait porter des robes; un jour, il y a eu l’histoire des médicaments de sa femme dépressive. Puis un soir, elle est venue toquer chez lui pour lui ramener un truc. En fait, on a fait un autre film avant le film. »

De répéter autant freine-t-il la spontanéité? Aviez-vous l’impression de voir votre création freinée par les nombreuses indications du réalisateur?

« Justement, non et pour deux raisons. La première, c’est qu’avant le tournage, on a le droit de dire ce qu’on veut, de modifier, de proposer; à partir du moment où l’on veut faire avancer les choses, on ne sent pas avec un despote. Tout est discutable : le texte, les personnages, les gestes, les déplacements. Tu te sens respecté parce que quand tu dis des choses vraies, elles sont achetées. La seconde, bizarrement, c’est que le fait d’être contrôlé comme ça m’ aidé à lâcher un poids que l’on porte souvent dans un film ou quand la technique se met en place par nous-même. Asghar nous imposait une technique, alors je n’avais pas à penser à ça. Quelque part, c’est sclérosant, mais en même temps, ça m’ouvrait un champ émotionnel et une accessibilité aux directives qu’il me donnait beaucoup plus larges. »

Si vous avez révélé votre côté féminin avec Rebecca Zlotowski, pensez-vous avoir mûri comme acteur grâce à Asghar Farhadi?

« On comprend si on a mûri lorsqu’on tourne le film suivant. Je pense que Le passé m’a fait grandir parce que j’ai appris à lâcher prise sur pas mal de choses. Des fois, c’est difficile de lâcher prise quand on croit en quelque chose parce qu’on prend ça comme une vérité, mais il y a d’autres vérités. Apprendre à lâcher prise, c’est faire un grand pas. »

Le passé : ce soir à 21h à l’Impérial, en présence de l’acteur.

Grand Central : ce dimanche à 9h15 et à 20h à l’impérial, en présence de l’acteur et de la réalisatrice.