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Le train de la mort

Nous aimons le pétrole et son industrie. On les traite par conséquent avec respect.

Lorsque des terroristes d’origine étrangère assassinent des civils, les chroniqueurs aboient à l’unisson. « Il faut répliquer! » « Fermez les frontières! » « Continuez la guerre! » Quiconque tente d’expliquer et de comprendre, quiconque demande un peu de retenue est accusé de complaisance, d’angélisme, voire de collaboration.

Lorsque des syndicalistes ou des grévistes sont accusés de « violence et d’intimidation », on ne se pose pas trop de questions. La moindre anecdote est élevée au titre de fait indéniable, et les jappements se font de nouveau entendre. « C’est impardonnable! » « Il faut que ça cesse! » « Les syndicats ont trop de pouvoir! » « On veut une loi spéciale! »

Lorsque des manifestantes et des manifestants se montrent un peu trop turbulents, il suffit de diffuser des images de leur arrestation pour considérer qu’elles étaient justifiées. Le discours des journalistes est le plus souvent exactement le même que celui des policiers. « Ce sont des casseurs. Il y a eu méfait. Il fallait intervenir. La foule était hostile ».

Cependant…

Lorsque la police tue un jeune homme du nom de Freddy Villanueva ou un itinérant du nom de Mario Hamel, le discours devient soudainement plus posé. « Ne sautons pas aux conclusions. Il faut attendre les résultats de l’enquête. Le métier de policier, ce n’est pas facile ».

Il en est de même lorsque le terrorisme fait son nid au sein de la droite occidentale. Les attentats exécutés par Anders Breivik n’ont évidemment pas mené les chroniqueurs à condamner la droite de la même manière qu’on condamne généralement l’islamisme. Bien sûr que non. « Il faut faire attention aux amalgames. Ce type est un cas isolé. Pensons aux victimes ». À la suite de ces attentats, Sarah Palin du Tea Party a même dénoncé la « chasse aux sorcières » dont était prétendument victime la droite américaine…

Le sens des valeurs

Selon nos chroniqueurs, la tragédie qui affecte présentement la communauté de Lac-Mégantic demande elle aussi de la retenue. Il ne faut pas accuser la compagnie, la déréglementation, l’industrie du pétrole ou la soif pathologique et effrénée de profit. La nuance est de mise. Rappelons-le : il ne s’agit pas d’islamistes, de syndiqués ou de manifestants, le train était chargé d’énergie et de profits. Yves Boisvert nous rappelle que « nous devons vivre avec le transport de matières dangereuses » [1]. André Pratte dit sensiblement la même chose : « On ne met pas une croix sur le transport par avion parce qu’il y a, de temps à autre, de terribles accidents » [2]. Et Mathieu Bock-Côté amalgame cette tragédie à l’apocalypse biblique et aux catastrophes naturelles telles les tsunamis[3].

L’indignation n’est pas très grande, vous en conviendrez…

Mais il y a pire.

Le Journal de Montréal parle de « gaspillage ». La Presse et The Globe and Mail ont l’élégance d’utiliser la tragédie pour faire avancer les projets controversés de pipelines. Ces derniers, selon une étude d’Ultramar (!), seraient plus sécuritaires que le transport par train[4]. Christian Paradis et Lise Ravary, avec toute l’intelligence qui est la leur, vont dans le même sens.

Répétons-le avant que les chroniqueurs patentés ne nous le fassent oublier. Ce train était chargé de matière dangereuse, de bénéfices pour une industrie extrêmement polluante. Son transport était assuré par la Montreal, Maine & Atlantic, une compagnie ferroviaire assoiffée de profit et dont la feuille de route est on ne peut plus noire [5]. Ce train a tué, brûlé et déchiré des corps, anéantis de nombreuses vies. Cette tragédie n’est pas le résultat d’une bavure anecdotique, mais d’un contexte que notre société a contribué à mettre en place. Si on désire réellement rendre hommage aux victimes de cette horreur, c’est ce contexte qu’il faudra remettre en doute et critiquer.

Notes

[1] Yves Boivert, Lac-Mégantic : tous responsables? Non », La Presse, 7 juillet 2013.

[2] André Pratte, “Le train est partout”, La Presse, 7 juillet 2013.

[3] MBC, « Horreur à Lac-Mégantic », 6 juillet 2013.

[4] Bruno Bisson, « Transport de produits pétroliers : 40 fois plus de risques par train que par pipeline », La Presse, 8 juillet, 2013 et Diana Furchtgott-Roth, « Quebec tragedy reminds us pipelines are safest way to transport oil », The globe and Mail, 7 juillet 2013.

[5] François Desjardins, “Qui contrôle la Montreal, Maine & Atlantic”, Le Devoir, 8 juillet 2013.