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Deux esprits se rencontrent

Joanne Marcotte et Jérôme Lussier discutent du droit de grève.

Les deux sont des amants de la politique : l’un était à la Coalition Avenir Québec (le nouveau vieux parti), l’autre au Réseau Liberté Québec (le club des amis « spéciaux » de Québec).

Les deux aiment le libéralisme : l’un d’une manière modérée (ça lui donne des airs objectifs), l’autre avec la fougue des partisanes (ça lui fait faire de drôles de grimaces).

Les deux aiment l’État : l’un parce qu’il protège la « dissidence » (il dit vraiment ça comme ça), l’autre parce qu’il protège la propriété privée.

La guerre froide

En cette période de guerre froide, toutes les raisons sont bonnes pour casser du « rouge », mais qui les mène à écrire sur le sujet ? C’est une décision de la Cour des petites créances obligeant une association étudiante à rembourser les frais de scolarité d’un étudiant. « Victoire ! », crient les deux larbins. On ne les a pas eus avec les milliers d’arrestations. On ne les a pas eus par la médisance et la propagande. On ne les a pas eus par les lois spéciales. On va les avoir avec les poursuites !

Il faut défendre la liberté d’être gouverné. La liberté de vivre en silence et en paix. La liberté de ne pas faire partie d’un groupe. La liberté de signer des contrats. La liberté de poursuivre. La liberté d’aller à ses cours. La liberté d’aller au travail. La liberté d’acheter ce qu’on veut. La liberté d’écouter la télé tranquille. La liberté de mourir.

Carrés bruns amis du Parti Libéral et des « think tanks » de droite subventionnés par le capital : vous êtes des chevaliers – des combattants! – de la liberté. Sans vous, le communisme nous guette. Heureusement pour nous, Jérôme Lussier veille au grain

« La position de l’ASSÉ — si c’est vraiment sa position — repose sur un idéal collectiviste qui considère les individus comme étant par défaut soumis au groupe, qui peut ensuite leur octroyer (ou non) une certaine marge de liberté. Le pouvoir de contraindre autrui est naturellement dévolu à toute collectivité, sans nécessité d’une délégation ou autorisation quelconque. Le groupe se trouve ainsi investi du pouvoir de contrôler les faits et gestes de ses membres, au gré de la volonté majoritaire à laquelle aucune liberté individuelle ne peut s’opposer. »

Quand on parlait de guerre froide, ce n’était pas des farces… Notre libéral modéré compare même la position de l’ASSÉ à celle qui sévissait en Allemagne de l’Est. Selon lui, le vote en assemblée n’a aucune valeur face à l’autorité – oh combien supérieure et divine  – de la loi. « Les individus sont fondamentalement libres– il dit –  et cette liberté ne peut être limitée que par consentement, par la loi, ou par délégation expresse et limitée du pouvoir de l’État ».

Un piquet de grève, c’est un abus, une limitation du droit individuel de choisir d’aller ou non à ses cours malgré la décision majoritaire prise en collectivité. Elle est une attaque au contrat signé entre deux individus « libres et égaux ». Peu importe que ledit étudiant ait eu droit de parole, de vote et d’amendement. Peu importe que ce vote ait lieu à de nombreuses reprises et soit pris selon la modalité choisie par l’assemblée. Peu importe que cette grève ait précisément pour objectif d’élargir le domaine de la liberté en limitant les contraintes financières sur les individus. Comme dirait Séraphin : « La loua c’est la loua ». Peu importe ce qu’elle dicte, il faut la respecter.

Face à une telle posture de la part d’un « modéré » objectif, on se demande bien comment Joanne Marcotte fera pour garder sa réputation de bête féroce. Elle y arrive toutefois fort facilement en ajoutant une couche de pathétique sensiblerie et de bedonnante victimisation. Selon elle, entre l’État patroneux et les étudiants, ce serait ces derniers qui mèneraient le bal et qui n’auraient pas à cœur l’éducation. Ainsi, interdire la grève, c’est préserver la liberté : « Quand des administrations publiques, appuyées par leur corps professoral, consent à priver des jeunes Québécois d’un accès libre à l’éducation, c’est qu’on a véritablement perdu le sens du devoir ». En son monde renversé, ce sont les grévistes qui limitent le droit à l’éducation et l’État qui favorise la liberté. Et comme si on assistait à un concours « Le plus grand des larbins gagne le dernier livre d’Éric Duhaime », elle ajoute que ce conflit aurait – attention cœurs sensibles – « épuisé les forces policières »[2].

Enfermez-les!

Ce discours est celui des amis fanatisés par le statu quo. Ils tentent d’enfermer le passé, le présent et le futur à l’intérieur des frontières de l’Être-là éternel. C’est là une pensée foncièrement figée. Ce qu’elle cache, derrière cette vertu plus ou moins dégénérée, c’est une croyance profonde et radicale dans le libéralisme. Une croyance qui permet à l’État de restreindre la liberté « au nom » de la liberté et d’user de violence « pour contrer » la violence.

La révolte n’est pas l’ennemi de la liberté, elle en est le socle. Si la loi des gens ne peut être confrontée à la légitimité de la loi, comme l’ont fait tout au long du XXe siècle les autochtones, les femmes, la classe ouvrière et les étudiants, alors l’État ne discute plus, ne négocie plus, mais commande.

« Qu’on nous dicte la liberté », voilà où nous mène la logique de nos amis larbins. Elle permet non seulement de matraquer ceux et celles qui refusent de rentrer dans le rang, mais elle le permet au nom de la démocratie, cet esprit supérieur surplombant nos vies.

 

Notes

[1] J.L Les rêves collectivistes de l’ASSÉ : http://www.lactualite.com/opinions/le-blogue-de-jerome-lussier/controler-son-prochain/

 

[2] Joanne Marcotte, « Printemps 2012 : La saga se poursuit », 18 août 2013.