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L’automne brun

Laissons enfin de côté le problème de l’endettement des États et des individus, du chômage, du réchauffement de la planète, de la pauvreté, de la corruption des instances municipales, provinciales et fédérales, des limitations aux droits de manifester, de la surveillance électronique à grande échelle, des arrestations de masses, de l’absence totale de projet collectif mobilisateur, du suicide, de l’anorexie des jeunes filles, des coupures dans l’assurance chômage, de la marchandisation de l’éducation, de l’augmentation des tarifs d’Hydro-Québec, de l’analphabétisme, de la concentration de la presse, du trafic des enfants autochtones, de la prostitution, de la montée de l’extrême droite, de la guerre, des OGM, de la hausse des budgets militaires, de la menace nucléaire, de l’itinérance, de Lac Mégantic et discutons enfin d’un problème qui nous tient tous à cœur et qui nous pénètre par tous les pores de la peau: la Charte des valeurs québécoises.

« Quoi !?! Pas encore la $!»&? de charte !?! »

Ben oui… malheureusement.  Car voyez vous, il est pratiquement impossible d’échapper aux dictats du spectacle. Le spectacle, qui ne se fonde sur aucun phénomène empirique observable, mais sur une série d’anecdotes gonflées médiatiquement, a effectivement la malheureuse capacité de créer de vrais problèmes. Partant des images médiatisées et de la hiérarchie de l’État, ces problèmes imaginés et patentés d’en haut dégoulinent jusqu’à la société pour se matérialiser en problèmes bien réels.

C’est ainsi qu’il y a à peine quelques mois, des propos aujourd’hui largement diffusés auraient été considérés comme « intolérants » ou « racistes ». Mais les temps changent : après le Printemps rouge des étudiants, voici venu le temps de l’Automne brun du PQ.

Pour prendre la mesure de la dérive, tentons de faire ensemble un exercice bien simple. Permettons à nos amis musulmans de prendre une pause bien méritée et, histoire de donner du relief à l’intolérance aplatie par les écrans de la télévision, imaginons que les propos entendus à leur égard soient en fait dirigés vers une autre minorité religieuse.

Imaginez qu’un ministre québécois parle en public de la « judaïsation » du Québec, que de nombreux chroniqueurs nous parlent du « complot juif » prévoyant anéantir l’Occident et que chaque fois qu’on parle de cette communauté, pourtant fragmentée et multiple, ce soit pour revenir au sujet de l’« extrémisme religieux sioniste ».

Imaginez un peu que les propos tenus par les porte-paroles de cette communauté, peu importe leur modération et l’orientation de leur idéologie, soient constamment considérés comme le résultat d’un « double discours ».

Imaginez que chaque jour depuis des années on médiatise des anecdotes concernant les abus des « juifs » envers les femmes et les droits humains et que des chroniqueurs nous parlent périodiquement des problèmes « fondamentaux » et « essentiels » contenus dans la religion juive.

Nous aurions déjà ici matière à s’inquiéter.

Mais poursuivons…

(La suite demande un peu plus d’imagination).

Imaginez qu’Israël et ses alliés soient bombardés depuis quelques décennies par les pays occidentaux afin d’y amener la « vraie démocratie ».

Imaginez qu’à peu près chaque fois qu’on voit un « juif » à la télé il est armé jusqu’aux dents ou en train de brûler un drapeau américain.

Imaginez que depuis des décennies nombre de politiques sécuritaires visent particulièrement les « juifs ».

Imaginez également que partout en Occident la droite et l’extrême droite fondent la croissance de leur popularité sur la stigmatisation du « juif ».

Il y aurait là matière à employer des mots comme « racisme » et « antisémitisme » sans avoir trop peur de se tromper, non?

(La suite demande très peu d’imagination).

Imaginez ensuite qu’une femme faisant partie d’un regroupement de personnalités publiques fort populaires et appréciées – appelons-les « les Nanettes » – ait affirmé que les « juives » portant la traditionnelle perruque sont des « folles ». Imaginez qu’une autre d’entre elles ait confessé « avoir peur » d’être soignée par des « juifs » parce qu’ils ne respectent pas les femmes. Imaginez encore qu’une de ces sympathiques Nanettes fasse circuler sur les réseaux sociaux une image comparant la kippa aux habits blancs du KKK américain…

Imaginez ensuite que ces mêmes Nannettes organisent une marche. Une marche à laquelle participeraient de nombreuses personnalités publiques et qui serait publicisée par le parti au pouvoir invitant la population, via son site internet, à y participer.

(La finale ne demande malheureusement aucune imagination).

Imaginez maintenant une polémique autour d’une « charte des valeurs » visant principalement à interdire le port de la kippa et de la perruque juive pour les fonctionnaires de l’État.

Et imaginez finalement – vous allez la trouver fort drôle ! – qu’on tente de vous faire croire qu’il s’agit d’un débat autour de la laïcité, de l’égalité homme-femme et de la démocratie.

Ce serait une bien bonne blague, non?

De l’humour juif, pour ainsi dire.