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Comment va l’extrême droite?

On se souvient des sinistres habits du KKK, de la montée fulgurante du fascisme pendant les années 1930 et de la Deuxième Guerre mondiale. On se souvient de Pinochet, du général Franco et de la Grèce des colonels. Les plus érudits se souviennent peut-être même des émeutes antisémites des années 1930 à Montréal ou de la montée du phénomène néonazi au Québec à la fin des années 1980.

Mais comment se porte l’extrême droite aujourd’hui?

Aurait-elle disparu?

Les organisations antifascistes affirment que c’est tout le contraire. L’extrême droite ‒ disent-ils ‒ est en pleine forme. Elle se manifeste à travers plusieurs mouvements identitaires et ultraconservateurs. Ces mouvements fascistes sont en croissance permanente depuis au moins 10 ans en Europe. Ils distribuent de la propagande haineuse, organisent des concerts, des manifestations et des actions directes, voire des combats de rue.

Il ne faut toutefois pas s’y méprendre : l’extrême droite contemporaine n’est pas confinée à sa tendance fasciste et nostalgique du totalitarisme. Elle ne porte plus le costume brun ou noir des années trente. En politique comme ailleurs, il faut savoir lire entre les lignes de la propagande. Ses stratégies et ses idées, qui ont par ailleurs toujours été multiples, ont bien évolué. Si on cherche un phénomène politique contemporain en lui donnant la définition qu’il avait il y a 70 ans, on découvre tout au plus des résidus. Si par contre on admet que certaines idées et valeurs restent essentiellement les mêmes malgré les changements de discours et de pratiques politiques, on découvre alors qu’elle fait une montée spectaculaire partout en Occident.

Le déridage de Frankenstein

La révolution « nationale » et la violence armée sont depuis longtemps chose du passé. Mis à part, encore une fois, une part minoritaire, mais non négligeable de cette mouvance, on constate que la stratégie face à la prise du pouvoir a beaucoup évolué. La posture de l’extrême droite, de façon désormais presque intégrale, est celle de l’ordre et de la loi. À l’heure où l’État a entre les mains des outils de contrôle et de répression historiquement inégalés, elle peut désormais se satisfaire d’une application rigoureuse du droit bourgeois. Ce dernier la sert si bien, pourquoi se priver de ses services?

Le complet-cravate du politicien a donc remplacé la chemise brune… Dans pratiquement tous les pays d’Europe, l’extrême droite va chercher entre 15 et 25 % d’appui aux différentes élections nationales. Sans oublier les dernières élections européennes où elle vient dernièrement d’atteindre des sommets historiques.

L’extrême droite a également changé de position sur la question juive. Israël fait désormais partie de la grande famille occidentale en guerre contre le terrorisme islamiste. Malgré le colonialisme, les destructions, les tortures, le racisme et le mur d’Apartheid de 700 km, Israël est considéré comme la « seule démocratie » du Proche-Orient. Ce nouveau racisme occidentaliste fait de l’« arabe » le « juif » du 21e siècle. Comme le souligne le philosophe Slavoj Zizek, il marque le début d’un nouveau pacte entre l’extrême droite et Israël. En gros, l’État hébreu pardonne à son ennemi juré les horreurs commises lors de la Deuxième Guerre dans la mesure où il lui permet de les reproduire contre les Palestiniens. Le British National Front anglais, dont l’antisémitisme est historique, se dit désormais pro-Israël ; idem pour le Front national français, qui tente de faire oublier son passé trouble à ce sujet. Le changement a d’ailleurs été fait si rapidement qu’on se retrouve désormais avec des partis farouchement prosionistes ayant dans leurs rangs des têtes brulées tatouées de croix gammées…

Un dernier changement, c’est peut-être le plus important à noter, concerne la rectitude politique à laquelle doit désormais se soumettre tout discours idéologique. Si les discours antiimmigrations, antimusulmans, anticommunistes et antiféministes connaissent de beaux jours, c’est parce qu’ils s’articulent autour d’une conception particulièrement creuse et autoritaire de la « démocratie ». C’est au nom de cette dernière qu’il faut mater les manifestations, augmenter les tarifs, voter des lois spéciales antisyndicales, appliquer des couvre-feux, enseigner le créationnisme, freiner l’immigration, augmenter les budgets de l’armée, etc.

Le racisme caractéristique de l’extrême droite classique est passé de mode. Parlez-en à Marine Le Pen, elle saura vous le dire. La hiérarchie entre les races n’est pratiquement plus défendue dans l’espace public. Formellement, on ne s’en prend plus aux « Arabes », aux « Noirs » ou aux « Tsiganes », mais aux « islamistes », à la « racaille » et aux « immigrants illégaux ». Ce changement trouve sa correspondance dans un discours sur la fierté d’être un « Occidental », un « homme », un « blanc », un « Québécois d’origine canadienne-française », un « vrai gars » ou simplement un « imbécile heureux avec un gros truck ». Il se fonde sur une nécessaire et pathétique ‒ nous allions écrire « pathologique » ‒ victimisation. Les tenants de ce discours se prétendent toujours minoritaires : ils seraient victimes de la mondialisation, du multiculturalisme, de la rectitude politique ou des groupes de pression. L’Occident n’est plus supérieur aux autres cultures. Elle en est la victime. C’est pour se protéger qu’elle restreint les droits, expulse des immigrants, protège des régimes d’apartheid et lutte avec acharnement pour préserver ses « valeurs » menacées par ceux qu’elle colonise et affame.

L’Amérique n’est évidemment pas extérieure à cette lourde tendance. C’est tout le spectre politique qui crampe à droite… Chaque avancée de l’extrême droite européenne est un pas en avant pour l’extrême droite québécoise et américaine. Tous l’ont remarqué : le Québec vit sous l’influence de plus en plus grande de la droite populiste et conservatrice. Plusieurs chroniqueurs de Quebecor ou de Radio X, voire plusieurs députés conservateurs ou péquistes portent parfois des idées tout aussi fascisantes et haineuses que leurs amis des vieux pays. Leurs discours sont peut-être mieux formatés pour les besoins de notre époque spectaculaire, il sont tout de même porteurs des mêmes valeurs… et des mêmes malheurs.

L’extrême droite n’est pas morte… Elle rampe dans l’histoire de notre monde tel un cadavre nous tirant vers le bas.

Et force est d’admettre qu’elle a beaucoup de succès.