Il y a un grand nombre de choses qui m’étonnent et, parmi toutes ces choses, la farouche obsession avec laquelle l’électeur s’accroche au mot « démocratie » pour défendre le système électoral à la sueur de son front n’a de cesse de me surprendre. Il faut le voir aller, ce bon citoyen, se faire aller le gorgueton à coups de « il y des gens a qui sont morts pour obtenir le droit de vote » comme ma mère hurlait des « y a des enfants qui meurent de faim en Afrique » lorsque je n’arrivais pas à finir mon assiette.
Contrairement aux enfants qui meurent réellement en Afrique, mais dont la vie ne dépend certainement pas de si je finis mon assiette ou non; personne n’est vraiment mort pour le droit de vote (et même si des gens étaient morts pour le droit de vote, leur mort ne rendrait pas plus juste le système électoral). Le peuple, ce concept aux contours flou, se bat généralement lorsque ses conditions de vie sont pitoyables, lorsqu’il a faim, lorsqu’il est mécontent, lorsqu’une situation lui paraît injuste. Ses luttes sont liées à des besoins concrets, bien que ce soit des mots aux contours bien plus flous que « peuple » qui le soulèvent, des mots comme : démocratie, liberté, égalité, justice, équité… Le principe est simple : le peuple a faim, on — « on » étant un groupe ayant le pouvoir d’organiser la lutte autour de ses intérêts — lui dit que la démocratie le nourrira, alors il crie : Vive la démocratie ! Que la démocratie soit, en fait, une aristocratie élective, peu importe s’il n’a plus faim. Le mot « démocratie » à lui seul deviendra une arme puissante par effet rhétorique. Pour éviter tous changements sociaux, il suffira qu’on dise au peuple que quelque chose ou quelqu’un menace sa démocratie et il se mettra à croire qu’il aura faim à nouveau s’il la perd. Sans compter que, le cas échéant, tout ne serait plus que violence et anarchie.
Ça paraît caricatural, pourtant, c’est l’épouvantail publicitaire que (re)sort le DGE devant le (pas) toujours plus bas taux de participation en affirmant que : « Dans un contexte où le cynisme et le désintéressement gagnent chaque jour des adeptes ; on peut craindre qu’à ce rythme, la démocratie, notre démocratie, ne puisse jamais se relever et disparaisse. » Il semblerait que le bon citoyen, ce porte-étendard de la vox populi, ne voit aucune alternative à l’ersatz de démocratie dans laquelle on vit, il ne voit donc aucun besoin d’être doté de la moindre imagination pour la repenser puisque, lui, l’électeur garant des pères fondateurs dans l’exercice de son droit de vote vit dans le meilleur système politique possible. Par opposition, il y aurait de dangereux groupes de mauvais citoyens, cyniques et désintéressés par l’état lamentable de la démocratie parlementaire et désireux de repenser les bases de l’organisation politique en proposant diverses avenues dont le spectre s’étend du scrutin proportionnel (pour les plus timides) à la démocratie directe. Ces groupes compteraient de plus en plus d’adeptes et ces méchants non-électeurs cassent le party de l’aristocratie élective. Que le bon citoyen s’en méfie ! Que le citoyen pécheur revienne dans le droit chemin !
La vidéo promotionnelle (un recyclage de la campagne de 2012) ajoute que le vote est un pouvoir, un « immense » pouvoir. Ainsi, le bon électeur ne se sent jamais impuissant devant la politique. Quand il regarde l’actuelle campagne électorale — c’est-à-dire ce moment pour lui tant privilégié où il impose sa toute-puissance aux maîtres en indiquant devant qui il abdiquera —, il ne constate nullement qu’on empile pour lui de l’absurde sur de l’inintéressant jusqu’à plus soif ; que les abus de langage et les mots vides fusent de partout ; que la corruption est manifestement endémique exposée les quatre fers en l’air au grand jour avec une ribambelle de néons tout le tour. Niet. Le citoyen moyen sourit gaiement en pensant qu’au grand soir, celui de l’élection, c’est sur son x que repose le sort du monde. L’élite au pouvoir le prend pour un con, c’est gros de même, mais puisqu’il accepte candidement de l’être, l’élite n’a pas tort et elle peut continuer de vivre dans son « monde économique normal » comme dirait le docteur.
L’électeur exemplaire se doit de brûler vives les intentions abstentionnistes de ses compères. Il doit résolument en finir avec cette plaie du XXIe siècle qu’est l’apathie. Évidemment, c’est pour lutter contre l’apathie qu’il se cache dans un racoin et coche discrètement la case qui garantira le rayonnement de son esclavage un autre quatre ans. Et si, par malheur, une bande d’individus apathiques allaient troubler la paix de ces quatre années de majorité silencieuse bien méritées en exerçant leurs droits fondamentaux de libre association et de libre expression, il n’attendrait pas moins de ses dirigeants qu’ils les répriment. L’électeur exemplaire n’a pas voté pour ça.
Par ailleurs, ce bon citoyen en devoir incitera sauvagement son apathique concitoyen à — au moins — caresser l’urne d’une annulation. Si son paresseux comparse lui indique d’un bâillement que l’annulation de vote est comptée comme un bulletin rejeté et n’a aucune valeur, l’excité citoyen accompli lui rétorquera que notre mascotte nationale a justement sorti son duveteux costume récemment pour donner un petit coup de P.R. au plus Calinours de tous les partis, parti qui a la faculté de transformer les bulletins de vote en arc-en-ciel d’annulations de vote. Il y a tous lieux de croire que le paresseux comparse n’y verra que le subterfuge d’une annulation, car il ne s’agira jamais que d’un vote pour la représentation d’une annulation de vote. Croyant qu’on n’est jamais mieux représenté que par soi-même, l’abstentionniste sera probablement trop apathique pour entamer cette discussion alors qu’il est depuis longtemps déjà désintéressé de l’obsession comptable de ce bon vieux voteux.
Fort de ses contradictions, l’adorateur de l’urne croit toutefois qu’il faudrait filtrer l’accès au droit de vote de tous ces ignares et analphabètes fonctionnels qui pavent les vox pop d’humoristes. Sachant mieux que la plèbe comment choisir ceux qui la gouverneront, il trouve tout à fait « démocratique » d’instaurer un permis de vote. Il a compris que, puisqu’il y a des gens plus aptes que d’autres à diriger, il y a aussi des gens plus aptes que d’autres à choisir les gens plus aptes que d’autres à diriger. Que « démocratie » signifie que le pouvoir appartient au peuple, tout le peuple, who cares? Lui, il le sait que « démocratie » est un mot fourre-tout et qu’il le passerait haut la main, son « examen de démocratie ». Après tout, il est la crème de la crème du citoyen !
L’électeur convaincu m’épate, disais-je donc. D’élection en élection, il témoigne toujours autant de belle naïveté. On aura beau lui infliger une indexation des frais de scolarité qui lui coûtera plus cher au final que la hausse contre laquelle il a historiquement fait entendre son désaccord, le flanquer d’une Commission d’enquête sur la corruption dans la construction qui lui crache chaque jour au visage toujours plus de scandales, lui promettre de dilapider ses ressources naturelles en lui scrapant son environnement bien comme il faut, s’engager à lui retirer de plus en plus de services publics accessibles, creuser à grands coups de pelle mécanique l’écart entre les riches et les pauvres, etc., il n’en continuera pas moins à être au rendez-vous tous les quatre ans, heureux d’offrir un salaire à quelqu’un de mieux placé que lui pour gérer toujours plus plus plus les vraies affaires. L’électeur modèle sait que la démocratie (directe), c’est la tyrannie des pauvres, il vaut mieux s’en remettre à la vertu des riches pour gouverner.
L’électeur convaincu m’épate beaucoup. Il m’épate d’exister encore.
La première fois que j’ai vu cette publicité du DGE — « un IMMENSE pouvoir » — j’ai été prise d’un immense fou rire. L’immense pouvoir de choisir ses tyrans!
On nous prend vraiment pour des imbéciles.
« But you’re still fucking peasants as far as I can see… » (John Lennon)
Le X sur mon bulletin est tellement un « immense pouvoir » que ceux qui ont un veritable « immense pouvoir » decident des politiques et tous les partis confondus s’y plient par soucis d’etre « serieux » et « realistes ». Excepte peut etre QS, mais c’est donc facile d’avoir des principes quand ya jamais de chance serieuse que tu sois mis en position de devoir les renier.
Un texte prétentieux qui ne sert à rien. L’auteure cherche à démontrer qu’elle se situe au dessus des imbéciles heureux qui votent et qu’elle sait écrire des phrases compliquées avec pleins de mots recherchés. Qu’elle a parfaitement compris le système dans lequel on vit. Ses amis Facebook lui diront sûrement que son texte est bon.
Ce genre de cynisme ne mène absolument à rien. Le vote est un moyen parmi d’autres de s’exprimer en tant que citoyen. L’action citoyenne et le pouvoir d’achat en sont d’autres. Bien-sûr, il ne s’agit toujours que de gouttes d’eau dans l’océan.
Que ferais-je sans vous, Francis, qui prenez quelques minutes de votre précieux temps pour dénoncer un texte qui ne sert à rien?
C’est le caractère toujours supérieur d’une critique dont on ne peut se départir. Le premier niveau serait ici l’électeur qui ne se pose pas de questions, le deuxième serait le texte (que je trouve pourtant bien écrit et pertinent même sur le fond), le troisième serait ton commentaire, et le quatrième serait le mien puisque, jugeant que tu serais tout aussi prétentieux de critiquer une critique pour te placer au dessus, je serais à mon tour une cible pour un 5ème niveau, sauf si j’admet une totale humilité, ce qui ne transparaît pas dans ton commentaire en attaquant la personne et les formes…
Pour info, la publicité vers laquelle vous renvoyez dans votre texte n’est pas la pub de cette année. C’est celle de 2012. Celle de cette année est légèrement différente.
Osh! Vous avez bien raison. Ils ont gardé les mêmes images, mais la narration a quelques peu changé. Heureusement qu’on y insiste encore plus sur l’immense pouvoir de l’électeur.
(J’ai d’ailleurs un plaisir malsain à consulter le site promotionnel du DGE : http://pourquoijevote.qc.ca/ J’aurais dû me rendre compte de ma confusion.)
Qu’est-ce que ça fait qu’ils prennent la même campagne publicitaire qu’en 2012, vous avez fait la même chronique en 2012…
Pas de farce.
C’est le cas aussi de la majorité des gens qui écrivent sur la politique. À moins d’un changement d’opinion, on a généralement droit à des textes d’opinion semblables d’élection en élection, mais adaptés un peu à certaines circonstances.
Ça me semble quand même plus utile que les mêmes commentaires condescendants d’article en article, mais adaptés un peu au contenu de l’article qu’on commente.
La démocratie, c’est la banque.
Marie-Christine, votre texte est un bijou de réflexion que tous les électeurs se devraient de lire. Effectivement, il n’y a pas de véritable démocratie au Québec et les soi-disant « grands » partis, malgré leurs beaux discours creux, se font finalement les complices de cette aliénation de l’électorat qui mériterait beaucoup plus de respect de la part des élus.
Le « vote stratégique »? Non merci, j’ai déjà assez donné, trop même. Lundi, je préfère perdre mes élections – quitte même à causer le retour de la vermine libérale – et contribuer à accroître l’appui à l’indépendance – le prérequis incontournable sans quoi la politique restera un exercice futile et illusoire – et à financer une véritable alternative au Parti québécois (Option nationale) plutôt qu’à contribuer à élire un gouvernement qui se prive lui-même des moyens qui lui manquent pour réaliser ses belles promesses. Et qui continuera à changer la loi électorale pour nuire au renouvellement des idées qui lui a pourtant bénéficié au point de devenir un parti aspirant au pouvoir.
Merci encore, madame Lemieux-Couture, pour cet excellent outil de réflexion!
Voici quelques mots – pas de moi – à propos de la démocratie.
Tout d’abord, de la plume de l’écrivain et dramaturge irlandais George Bernard Shaw (1856-1950):
«À la nomination d’une petite minorité corrompue, la démocratie substitue l’élection par une masse incompétente.»
Puis, une réflexion de la part de l’écrivain français Paul Léautaud (1872-1956):
«Le plus grand nombre est bête, il est vénal, il est haineux. C’est le plus grand nombre qui est tout. Voilà la démocratie.»
(Pas très édifiants, ces propos. À presque souhaiter une «dictature bienveillante et éclairée» si pareille alternative s’avérait une possibilité. Mais non, rien à faire de ce côté non plus. Alors le marché de dupes électoral continuera à nous faire miroiter des promesses irréalisables et même des promesses indésirables. Au moins, le printemps commence enfin à s’installer, alors c’est toujours ça de pris…)
Toujours une si jolie plume, qui plus est démontrant la lucidité qui vous anime, Mlle. Couture !
Je me rappelle également la première fois que j’ai vu ces pubs, comme j’en ai été découragé…
Je me questionne toujours sur ce genre de sorties. Les gens éduqués et progressistes qui font le choix de ne pas voter par conviction politique plutôt que de donner le petit 1.50$ par vote à un parti souhaitant mettons changer le système de vote. Je trouve ça égoïste et tout aussi naif de croire que l’action de ne pas participer à ce système oppressant changera quoi que ce soit au système. À part de dire très haut qu’on est mieux que ceux qui votent et de passer 2-3 commentaires sarcastiques qui sont accueillis avec joie par la clique abstentioniste, ca n’apporte rien à personne.
Le DGEQ exagère clairement le pouvoir réel de l’électeur mais dans cet article c’est l’autre extrême avec tout aussi peu d’arguments convainquants.
Bref, vive les abstentionnistes, surtout ceux qui ont la décence de rester silencieux puisqu’ils n’ont RIEN à proposer sauf de la condescendance et du mépris.
Ne votez pas, ca change rien, j,en suis pas sur… L’inverse? Ça j’en suis assuré!
Les gens éduqués et progressistes qui appellent au silence de ceux et celles qui ont l’indécence de penser différemment d’eux ont certainement une conception inquiétante de la liberté d’expression. Vous voudriez sans doute un monde où il n’y aurait que des articles de gens de gauche (réformiste) qui racontent qu’ils votent pour la gauche (réformiste). Vous faites l’erreur de croire que parce que je suis de gauche radicale, je partage vos convictions politiques, c’est faux. Voter ou ne pas voter ne changent rien, ce n’est pas le mode de scrutin qui pose problème, c’est le fait même de déléguer son pouvoir à quelqu’un.
Je suis anarchiste. Je m’oppose à toutes relations de pouvoir, je m’oppose donc à l’existence même d’un gouvernement, ainsi qu’au capitalisme. Par conséquent, votre argument monétaire pour me faire consentir à m’incliner devant un parti est plus que faible, il témoigne d’une parfaite incompréhension. Ceci dit, puisque je pense que tout changement ne peut venir que de la rue, ce soir, je prendre mon 1,50$ et aller le donner à un-e itinérant-e.
L’anarchie est qu’une impasse narcissisme du politique. Se croire toujours pleinement volontaire de ces choix, croire que nous pouvons agir sur notre vie en neutralisant les forces politiques, rhétoriques, économiques…Ne pas croire que Je est un autre dirait le poète !
S’abstenir de voter est un libre-choix, c’est aussi avoir le droit librement de s’abstenir. Il est aussi significatif et démocratique que tout les X réunis. Donner du pouvoir à des menteurs qui disent des vrais mensonges, je ne peux pas cautionner cette manipulation… Je n’ai pas la peur en m’abstenant de perdre ce que je ne veux pas.