BloguesMarie D. Martel

Nouveaux enjeux de l’édition: 8 défis pour les bibliothèques

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Ce texte est extrait d’un article que j’ai signé dans la revue Spirale, Nouveaux enjeux de l’édition, hiver 2013, un numéro édité par Pascal Genêt et Patrick Poirier. Il a été légèrement remanié.

Face aux nouveaux enjeux de l’édition, huit pistes pour les bibliothèques sont ici explorées qui sont en accord avec le système des valeurs et les principes qui les définissent au sein de la sphère public. Ces propositions sont aussi en phase avec le modèle symbolique de la bibliothèque publique en tant que tiers lieu qui est une place pour l’humain et les connections avant d’être un espace pour les collections.

1. L’accessibilité. La défense du droit des usagers à accéder au contenu, incluant celui des handicapés physiques, constitue un des premiers rôles des bibliothèques. Les obstacles technologiques, en terme de compatibilité des formats et des DRM (Digital Rights Management) doivent être identifiés et repoussés, en considérant la possibilité que les plates-formes de lectures que les usagers possèdent aujourd’hui ne soient pas mises à jour dans quelques années. Les processus qui comprennent une succession d’étapes pour le téléchargement deviennent des expériences rébarbatives qui doivent être facilitées. Ce point de vue requiert aussi que l’ensemble des livres sur le marché numérique soient disponibles pour l’ensemble des bibliothèques. En retour, les bibliothèques cherchent à soutenir la diversité des initiatives éditoriales émergentes dans l’horizon numérique.

2. L’apprentissage/la formation. Les abonnés des bibliothèques sont désireux de participer à l’aventure du livre numérique par l’entremise de formation ou d’ateliers portant sur les options de lectures numériques (téléchargements, lecture continue), sur l’usage des liseuses ou des tablettes, sur les inconvénients des modèles verticaux que représentent les écosystèmes fermés à la manière de Apple.

3. L’éthique. Du point de vue éthique, les bibliothécaires sont appelés à informer les lecteurs des risques qui sont encourus pour la protection de la vie privée et la liberté d’expression lorsqu’il accèdent à des contenus numériques. Lorsque les citoyens effectuent des transactions par le biais des plates-formes commerciales comme Amazon, par exemple, les bases de données stockent divers renseignements que ce soit sur les livres lues, sur les pages lues, sur les recherches effectuées, etc. et qui pourraient permettre d’identifier des lecteurs à leurs dépens pour des opérations de marketing, ou même, encore plus gravement, dans le contexte d’un gouvernement malveillant.

4. La préservation. Le souci de la mémoire culturelle est un enjeu identitaire vital pour la société civile et les bibliothèques qui s’en préoccupent. C’est pour cette raison, que ces dernières réclament la possibilité de détenir les fichiers indéfiniment sur leurs serveurs afin de conserver des copies de sécurité, de modifier les fichiers en fonction des formats, des dispositifs, des besoins, ou encore, dans le but de comparer les versions en vue d’établir les sources et l’autorité des documents.

5. Le partage. Le partage du savoir et de la culture, le partage d’une place avec la communauté fonde le projet social des bibliothèques. Dans le contexte des licences et des verrous numériques, l’objectif du partage est compromis.

Plus fondamentalement, les bibliothèques explorent aujourd’hui d’autres approches, comme celle des biens communs, pour favoriser le développement, la circulation et le partage équitable des contenus numériques. Les biens communs sont des ressources d’intérêt, exprimant une solidarité entre les citoyens à la façon des logiciels libres, de Wikipédia, des créations sous licence Creative Commons ou des oeuvres appartenant au domaine public.

Certains bibliothécaires participent au débat sur les possibilités du partage non-marchand d’œuvres protégées, envisagé comme un droit culturel fondamental et une opportunité plutôt qu’une menace. Et ceci sur la base des recherches qui suggèrent que les utilisateurs qui téléchargent et partagent en P2P (Peer-to-Peer) sont aussi les consommateurs qui dépensent le plus pour des produits culturels. La conversation publique sur ces questions s’enrichit d’une réflexion sur les modèles alternatifs pour la rémunération des auteurs visant à éviter, ce que Lionel Maurel désigne par la « tragédie des communs ».

6. La médiation. La bibliothèque comme média explore différents moyens d’accès, de diffusion, de transmission et de partage des contenus physique et numérique en interrelation avec les infrastructures physiques et numériques. Ces explorations sont menées en collaboration avec des utilisateurs dans une démarche d’innovation ouverte. Elles peuvent déborder dans la ville par le biais de micro-bibliothèques, en signant les quartiers culturels, et en misant sur une forme urbanisme tactique.

Ce dispositif vise aussi à co-créer des espaces de diffusion complets autour des savoirs, du domaine public, de la littérature et des autres formes d’art, des archives; une utilisation dynamique des technologies en vue de favoriser la valorisation du matériel nouveau et populaire, la théâtralisation des collections, des mises en réseau multimédia autour des informations, des œuvres, des activités, des créations locales. La bibliothèque peut aussi contribuer à prolonger et enrichir les oeuvres-elles en créant une API pour celles-ci. La médiation est aussi une expérience d’inter-médiation.

7. L’édition locale et patrimoniale. Pendant que les collections se développement lentement en fonction de l’offre éditoriale, les bibliothèques disposent de certaines alternatives pour la création de contenus numériques originaux et exclusifs, ou encore des API. Certaines bibliothèques prennent part à des projets d’édition dans les communautés, dans un processus de patrimonialisation et de numérisation impliquant les œuvres des créateurs locaux, professionnels ou amateurs, les ressources libres, le domaine public, les archives, etc.

8. La création. Les bibliothèques tendent à se déployer sous la forme de laboratoires technologiques communautaires, où les citoyens partagent des idées et des savoirs-faire, expérimentent et fabriquent des objets divers. Adhérant à la culture des makers, ces bibliothèques se dotent de fab labs, notamment de centre d’écriture et d’édition/publication accessible à tous. Les abonnés peuvent avoir accès à des cours d’écriture de même qu’à des outils d’autoédition et de publication, comme c’est le cas par exemple à la Sacramento Public Library. Une imprimante qui permet d’imprimer un livre en quelques minutes, l’Expresso Book Machine, y est disponible pour l’impression sur demande. Ces milieux sont aussi favorables aux expérimentations autour du livre en dehors du modèle du texte homothétique.

Historiquement, les bibliothèques ont soutenu les activités des différents acteurs de la chaîne du livre. Aujourd’hui, les bibliothèques passent des collections aux connections, de la circulation des documents à la génération de contenu. Dans ce contexte de changement, elles élargissent le registre de leurs activités, en termes d’accès, de partage, de formation, de médiation et de création. Bien que cette offre contribue à diluer la relation exclusive qu’elles ont traditionnellement entretenu avec les fournisseurs de livres, de médias et autres produits documentaires, les bibliothèques continuent de participer à la recherche de solutions durables dans ce nouvel écosystème de la culture.

Sources

| La photo a été prise dans la nouvelle bibliothèque de l’Institut Goethe, à Montréal |