BloguesObjecteur de conscience

Boston – montrer les images, oui ou non?

Des bombes ont explosé au milieu d’une foule au fil d’arrivée du marathon de Boston.

Une autre tragédie qui vient faire des victimes innocentes. L’horreur de la haine en images tournant sans cesse depuis lundi après-midi.

On en sait encore trop rien en ce mardi matin sinon les faits – deux bombes ont explosé, il y a des morts et des blessés. Le reste n’est que spéculation et désinformation crasse.

Parlons donc médias et journalisme. Plusieurs réactions réalimentent un sempiternel débat sur la diffusion d’images-choc de blessés. Doit-on montrer des images frappantes, souvent morbides, de tragédies dans les médias? Est-ce nécessaire pour en comprendre la portée? Je partage ici un texte écrit pour ProjetJ.ca l’an dernier à propos d’images publiées dans le Los Angeles Times montrant des soldats américains posant avec les restes d’un kamikaze en Afghanistan.

Voici donc le texte. Je vous invite, bien sûr, à débattre de la question.

« La vérité sans censure ni vernis

Par Martin Forgues

Que se passe-t-il dans les rangs de l’armée américaine pour que soient publiés d’hallucinants reportages qui suscitent un profond dégoût, tant par l’histoire racontée que par un supposé manque d’éthique de la part des médias?

Autant d’encre que de sang ont coulé dans la foulée des derniers scandales impliquant l’armée américaine en Afghanistan. Encore aujourd’hui, l’opinion publique s’embrase.

Suite à l’autodafé de copies du Coran il y a deux mois, et après que des Marines aient été accusés d’avoir soulagé leurs vessies sur des cadavres d’insurgés en janvier dernier, l’indignation provient cette fois de photos montrant des soldats d’élite de la 82e Division aéroportée posant fièrement, tels des chasseurs revenus au camp avec leur gibier fraîchement abattu, à côté des restes de ce que le Los Angeles Times, qui a sorti la nouvelle, décrit comme un kamikaze.

De quoi glacer le sang. Des images semblant sortir tout droit d’un mauvais snuff, ces films clandestins mettant en scènes de véritables séquences de torture et de meurtre.

Mes trois personnalités – l’être humain, le journaliste et l’ex-soldat – ont crié d’indignation, à l’unisson, dans un rare moment où elles ne m’entraînent pas dans leur spirale conflictuelle.

L’être humain et le journaliste ne peuvent néanmoins s’empêcher de chercher à comprendre ce qui a mené à cette faillite morale chez des soldats appartenant à un corps d’élite, des parachutistes pourtant réputés comme possédant une résilience dépassant de loin celle du commun des mortels.

L’ex-soldat se remémore alors son séjour en Afghanistan, témoin de la déshumanisation qu’engendre la guerre. Sans chercher à justifier ce que montrent ces photos, il connaît la réalité que vivent les soldats américains alors qu’ils combattent toujours sur deux fronts, afghan et irakien, et que les troupes sont trimballées d’un endroit à l’autre, sans trop de répit, durant des années, alternant missions de combat, entraînement et, surtout, vivant quotidiennement le deuil et la frustration devant la mort de leurs frères d’armes. De quoi pomper l’humanité hors de l’âme, laissant ainsi libre cours aux instincts bestiaux qui hibernent dans ses recoins les plus sombres.

Mais cette fois, comme il arrive souvent lorsque les médias couvrent les guerres ou autres catastrophes, ce ne sont pas seulement les informations et ces clichés qui soulèvent la grogne, mais leur publication même.

La controverse se résume bien dans un seul tweet posté sur le réseau éponyme. «Ce que les soldats américains ont fait est extrêmement ignorant et offensant. Ce que le LA Times a fait est extrêmement irresponsable et un manque d’éthique», pouvait-on y lire. La question qui pend au bout des lèvres: doit-on publier ces images?

Le spectre de la publication des photos du cadavre du bébé de Charles Lindbergh, dans les années 30, revient de nouveau hanter les médias qui marchent encore une fois sur ce mince fil entre information et sensationnalisme, parfois, faut-il l’admettre, avec l’aisance d’un funambule qui aurait pris un verre de trop avant sa prestation.

Un exemple plus récent – et local – est cette photo d’une main inerte et pendant hors des décombres d’un immeuble en Haïti suite au séisme qui a semé la désolation dans la Perle des Antilles et qui avait orné la une de La Presse en janvier 2010.

Sans prétendre au monopole de la vérité, ma réponse est oui, absolument, il fallait publier ces images n’en déplaise aux chantres du «propre», aux apôtres de l’information aseptisée, aux disciples de la rectitude politique et aux bleeding hearts qui ne veulent pas voir le monde tel qu’il est.

Le rôle des médias n’est pas de peindre une toile impressionniste bucolique ou d’embellir une histoire pour préserver yeux et oreilles chastes. Ce qu’ils préservent, c’est l’authentique, le réel. Le travail des journalistes est de rendre compte de la réalité qui, faut-il le rappeler, est plutôt laide sur la majeure partie du globe.

Des réalités dont nous, citoyens du monde «développé», devons être informés tant pour une raison de décence humaine que, dans le cas qui nous occupe, pour tenir en joue les institutions, leurs agissements, leurs succès, mais, surtout, leurs dérapages.

Tant que l’intérêt public est servi, loin devant les impératifs pécuniaires des médias qui publient ces images fortes et impressionnantes, la vérité doit être dévoilée, contextualisée, sans censure ni vernis.

Tout comme devra être connu, le temps venu, le sort de ces soldats, qui devront maintenant affronter la sévérité de la justice militaire. »