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Trahir sa soeur d’armes

Cette sordide histoire d’une militaire de Valcartier à qui des frères d’armes sans honneur ont volé son téléphone puis diffusé un sextape destiné à son amoureux déployé en Afghanistan me fait hurler.

Bon, c’est archi-connu, l’armée est un milieu macho. L’image de soldats déployés en zone de guerre, tous regroupés autour d’un ordinateur portable dans une chambre de fortune ou sous la toile d’une tente et regardant de la porno ne nécessite que très peu d’imagination.

Dans une autre vie, j’en fus, au fil de mes onze années de service militaire et de mes deux missions à l’étranger. Je m’en confesse. Mais l’industrie de la fornication rémunérée, aussi controversée et philosophiquement discutable soit-elle, implique néanmoins, de façon générale, des adultes consentants et payés pour des actes sexuels dont ils sont parfaitement conscients qu’ils seront diffusés à très grande échelle. On les verra, nus comme des vers, ou vêtus de cuir ou de latex ou je ne sais quoi, dans des positions défiant parfois les lois de la physique et d’une sexualité plaisante pour tous les partenaires impliqués. Contrairement à un sextape de nature privée et rendu public seulement à la suite d’un vol odieux perpétré par des soldats qui, de toute évidence, sont indignes de porter l’uniforme.

Une jeune femme ayant décidé de troquer ses talons hauts pour des bottes de combat et de servir sous le drapeau du Royal 22e Régiment. Une soldate d’infanterie ayant fait le choix courageux d’oeuvrer dans un milieu encore dominé par les hommes et qui le restera certainement pour un bon moment. Un courage qu’il faut saluer nonobstant nos allégeances idéologiques – c’est la façon dont elle a choisi de servir sa société. Une soldate maintenant brisée non pas par l’horreur du combat, l’acte de tuer ou la perte d’un frère d’armes. Non, brisée par la trahison de ses collègues qui ont bafoué son honneur et qui ont choisi consciemment de l’offrir en pâture aux sens lubriques de la collectivité militaire.

La suite? Des regards lascifs, des remarques déplacées, des demandes d’autographes par des homologues américains. Une soldate traînée dans la boue par ses frères d’armes. Un leadership déficient qui a échoué à prendre des actions appropriées. Le résultat? Une carrière ruinée, un rêve qui se termine.

L’honneur et la loyauté envers ses frères d’armes sont le noyau des valeurs militaires. En volant le bien d’autrui et en diffusant une vidéo qui allait humilier leur soeur d’armes, ces soldats s’en sont montrés indignes. Indignes de porter l’uniforme, indignes d’arborer sur leurs bérêts l’écusson de leur régiment, indignes du sacrifice consenti par leurs prédécesseurs sur la crête de Vimy ou à Casa Berardi. Ces pleutres sont une honte. Ils consolident ce mur qui s’érige devant les femmes désirant servir dans les armes de combat. Certains diront qu’elle connaissait la réalité du milieu avant de s’enrôler – peut-être, mais rien ne justifie d’humilier un frère ou une soeur d’arme de quelque façon que ce soit. Jamais.

Au centre de ce scandale se trouvent, en plus du sexisme évident, les notions d’honneur et de confiance en ses frères d’armes, cruciaux lorsque vient le temps d’affronter l’horreur de la guerre. J’ai servi avec plusieurs femmes au cours de ma précédente carrière. Quelques-unes m’ont d’ailleurs récemment parlé de leur malaise face à la culture militaire et des tabous relatifs au service des femmes dans les forces armées. Je fus témoin à plusieurs reprises de l’intérêt de plusieurs de mes ex-camarades envers des collègues féminines. Je m’en suis moi-même rendu coupable. Rien, cependant, qui transgressait ces valeurs et qui allait au-delà d’un « non » bien senti et davantage respecté.

Les femmes sont peu nombreuses dans l’infanterie et, oui, parfois, des histoires dignes d’un roman-savon couleur vert kaki surviennent. La jalousie et l’envie s’installent au sein de l’unité et, bien sûr, pernicieusement, on blâmera la femme d’avoir brisé la cohésion qui régnait avant son arrivée au sein de l’unité. On l’accusera d’utiliser ses charmes pour obtenir des avantages. Mais même si certaines le faisaient vraiment, un acte tel que celui qui nous occupe demeure impardonnable. Les profiteurs n’ont, après tout pas de genre assigné et il existe des mécanismes pour régler le problème sans double standard.

Si les forces armées ont décidé d’ouvrir les rangs aux femmes, il revient aux soldats de faire preuve du professionnalisme nécessaire pour s’adapter au changement. Les femmes ont beaucoup à apporter dans les armes de combat – il est heureux d’y constater un lent, très lent changement de culture, un progrès malheureusement réduit à néant par des gestes aussi révoltants. Le succès de telles réformes aussi irrépressibles que souhaitables dépend d’un leadership fort encore trop souvent timide, voire absent lorsque survient un tel cas.

Malheureusement pour la soldate Alexandra-Kim Martin-Roberge, la devise Je me souviens, celle du Royal 22e Régiment, prendra désormais un tout autre sens.