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Quel est ton point?

Nous vivons dans une société où la justification et l’explication à toute chose semblent en soi réconfortantes, voire nécessaires. Nous voulons justifier les choses, nous voulons les expliquer, nous voulons en d’autres mots faire un point sur tout, avoir une finalité, et en fin de compte toujours mettre les points sur les i : s’il se passe ceci, c’est bien grâce à cela. Cette fameuse recherche de la vérité – la vérité du moment on s’entend. L’importance du « cause à effet » semble donc une propriété intrinsèque de notre sphère sociale. Et en effet, qui en doutera : s’il y a un parce que, c’est bien parce qu’il y a un pourquoi, non?

Je n’y crois pas.

Et s’il s’agissait d’une déformation de notre chère société en quête d’une finalité et d’une réponse sur tout? Cette société de résultats, de vitesse, de performances, de calculs, de mesures. Se pourrait-il autrement que la vie ne soit pas si mathématique? Notre point de mire valable est-il vraiment de toujours trouver réponse à tout?

Cette question inopinée : Quel est ton point ?

Il m’arrive trop souvent de la poser. Dans divers contextes, professionnels et personnels. Je m’énerve moi-même. Discussions, échanges, hésitations, sourcils froncés et hop, cette question… Quel est ton point ? Je fais partie de cette cohorte de gens cherchant toujours à clore ou faire avancer un échange, une discussion, en voulant nécessairement y trouver une finalité, comme pour confirmer la vérité du moment de la discussion en cours… Quel est ton point ? À force de me surprendre moi-même à si souvent prononcer ces quelques mots, j’en suis venu à me questionner, ou plutôt à remettre en question cette fâcheuse habitude.

Et j’ai fait l’exercice, très simplement, de m’interroger, non pas pour faire un point en soi, mais plutôt pour tenter de faire le point sur l’inutilité de toujours faire des points. Mais bon.

Pourquoi faudrait-il toujours qu’il y ait un point à tout ?

Faire un point pour ne pas pousser plus loin.

Faire un point pour couper court.

Faire un point pour éviter de trop réfléchir.

Donc, quel est le point de toujours faire des points ?

Pour stopper le questionnement, certes.

Pour éclaircir ce que nous ne saisissons pas, certes.

Pour se donner raison, certes.

Mais surtout pour se conforter.

Pour se conforter dans notre vérité, précisément.

Quelle vérité au juste ?

Sûrement celle de faire un point.

Point à la ligne.

On s’égare.

Le point de vue à partager ici n’est pas tant sur le fait de faire des points mais plutôt sur ce questionnement : n’y a-t-il pas une altération de la nature humaine, une déformation contemporaine de notre esprit, naissant (probablement) de notre société de performance, à toujours vouloir faire un point ? Je regarde défiler cette vie, cette vie qui va si vite, cette vie qui exige des réponses, et j’ai cette impression que la société nous conditionne ainsi de plus en plus à faire un point sur tout, pour aller plus vite, à justifier un point sur tout, pour concrétiser les choses plus rapidement, pour tenter de donner un statut à tout.

On peut certes affirmer qu’il s’agit du point de vue culminant de ce texte.

Mais bon.

Elle a tort, notre chère société, de nous conditionner ainsi. Et nous avons tort de nous y résoudre. Parce que, et ce n’est pas moi qui le dit mais bien une personne que je respecte plus que tout et qui fait rarement des points, la vérité est dans la réflexion et non dans la réponse. Le point final en soi ne donne rien (ou si peu souvent). La richesse pour toutes nos quêtes, nos réflexions, nos angoisses, personnelles et collectives, ne serait-elle pas plutôt dans le processus qui tente de nous mener à la finalité ? Je ne répondrai pas à cette question car en tout point je ne veux surtout pas donner l’impression de faire un point.

Hum.

Il faut prendre le temps. Il faut s’accorder ce temps de réfléchir, d’échanger, d’avancer, de se questionner, de chercher, de creuser, et ce sans toujours chercher à faire un point rapidement pour passer à l’autre étape. Parce qu’en ligne de compte, le point final, nous l’oublions. Mais peut-être pas la réflexion pour y parvenir.

Point de doute que je pourrais encore m’étendre sur quelques pages, non pas pour faire un point, croyez-moi, mais seulement pour continuer à expliquer mon point de vue.

Mais bon, je ne veux pas m’éloigner et perdre le fil de mon point. Parce qu’au fond, je n’ai point de doute qu’il tomberait à point pour nous tous d’arrêter de faire des points tout le temps et à tout prix… Facile, je sais… Mais sur le fond, vous saisissez mon point ?