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Tire le coyote fait son territoire – longue entrevue

Auteur-compositeur-interprète sensible, des textes riches, une musique inspirée par les racines folk, country et blues, Tire le coyote s’est imposé dans le paysage musical québécois avec son deuxième album, Mitan. Il a présenté cet hiver son troisième bébé, Panorama.

Je l’ai rencontré en janvier pour une longue entrevue d’une heure à CKRL. Voici une version écrite.

tirelecoyote

Même si Mitan n’a que deux ans, j’ai envie de dire «enfin», j’ai cette impression que tout le monde avait hâte d’avoir du nouveau Coyote.

J’ai aussi eu l’impression qu’on attendait cet album-là. Avec Mitan, ce n’est pas parti dès le départ, ça été tranquillement pas vite. Mais d’après ce que les gens me disent, ils l’ont usé en masse. Il faut dire que je n’ai pas de périodes d’écritures intenses, j’écris toujours et j’intègre parfois de nouvelles chansons dans mes spectacles. Cela a peut-être créé une certaine hâte.

panorma«Panorama», le terme fait appel aux paysages, mais aussi à une vision large d’une situation.

Ça évoque à mon avis plusieurs choses. Premièrement, l’album s’est construit sur la route. Je composais surtout pendant les tournées. Les chansons sont ancrées géographiquement au Québec. Je nomme Kamouraska, Rouyn-Noranda. D’un point de vue social, ou personnel, je traite un peu plus de sujets historiques. Ne serait qu’un titre comme «Ma révolution tranquille», ou sur «Les miracles se vendent à rabais», qui est plus engagée. Finalement, j’ai exploré d’autres racines du folk, comme le vieux blues acoustique. Mon folk s’est un peu transporté ailleurs.

Comment le territoire t’inspire-t-il?

Bien honnêtement, ça parait cliché, mais je suis ben amoureux de notre patrimoine, de notre histoire, de notre territoire. Je viens de Sherbrooke et tout ce qui traverse la ville c’est la rivière St-François qui n’est pas si belle que ça. Quand je suis arrivé à Québec et que j’ai découvert le fleuve et toutes les rives de Charlevoix, du Bas-Saint-Laurent et de la Côte-Nord, c’est comme si je découvrais la beauté qui nous entoure et la richesse de notre territoire. Je suis ben attaché à ça. J’ai envie de nommer ces endroits-là. J’ai envie qu’on fasse attention à tout ça.

Tu dis être allé piger dans le vieux folk et le vieux blues pour t’inspirer, ça aussi c’est honorer le patrimoine.

Oui, plus américain comme patrimoine, mais oui. J’aime faire cette recherche-là. Ce n’est pas de revenir en arrière, mais d’explorer d’où l’on vient. J’ai une passion pour cette musique. Entendre Charlie Patton ou Skip James jouer une toune tout croche, mais avec tellement d’émotion, il n’y a pas grand chose qui accote ça!

Il y a, encore une fois, de superbes guitares sur ton album, les arrangements sont soignés. À quel point es-tu directif avec Shampouing et les autres?

Je me vois plus comme un coach, dans le sens où je ne leur dis pas comment jouer, ce sont tous de meilleurs musiciens que moi, je les dirige sur les dynamiques.

Par exemple, pour la clarinette sur cet album-là, je lui indiquais où j’en voulais, quelle texture j’avais en tête. Je donne des pistes et ensuite ils jouent. Quand je compose, je les entends. C’est pour ça que j’ai réalisé mes deux derniers albums. Ce n’est pas parce que je me pense mieux ou que je ne veux pas travailler avec les autres, mais j’ai une idée précise de ce que je veux quand je compose, avec des lignes directrices. Même si j’engageais quelqu’un d’autre, je l’obstinerais!

La clarinette surprend dès l’intro! Ça peut presque paraître audacieux.

C’est vrai que ça peut avoir l’air audacieux, on l’entend moins que la trompette, mais c’est un bel instrument, avec une mélancolie et une douceur. Ça m’est venu en écoutant du Sidney Bechet, un vieux jazzman des années 40 et 50.

On sent une énorme précision dans l’écriture. Chaque mot semble été réfléchi, pour aller chercher l’image, le son, la poésie…

Je ne travaille pas si longtemps que ça, mais je ne suis pas du genre à écrire une chanson en une heure. Si je compte en heure, je suis en bas du salaire minimum c’est sûr! La partie musique est assez facile, mais l’écriture, c’est plus long. Le plus grand défi pour un auteur, c’est de trouver sa couleur, son lexique. Quand tu entends du Desjardins, tu sais que c’est du Desjardins. Je ne dis pas que je réussis, mais il y a cette volonté.

J’ai découvert Desjardins à 17 ou 18 ans. Mes amis écoutaient du Nirvana, du Tool. J’en écoutais aussi, mais j’étais une bibitte pour eux. C’est avec Desjardins que j’ai découvert qu’on pouvait toucher avec des mots, au-delà de la musique.

Il y a beaucoup de bonne musique au Québec, mais moins de recherche pour la langue, le texte est souvent en second plan. Quand j’aime un artiste, j’ai envie de m’asseoir et écouter tout ce qu’il dit. C’est un amour de la langue.

Tu as justement étudié en littérature.

En création littéraire, un certificat. Tous les profs étaient des écrivains, des poètes. On explorait. C’était bien intéressant. Je ne pense pas que ça ait influencé mon écriture, mais ça m’a ouvert à d’autres styles. Il y avait beaucoup d’échanges avec les autres étudiants. Ça m’a amené à analyser les textes différemment. Mon style d’écriture en chanson s’est développé par la suite.

Sur «Les miracles se vendent à rabais», tu parles de détrôner Harper. On devinait que tu étais plus proche de François David que de Stephen Harper, mais le dire textuellement, comme ça, c’est nouveau.

C’est un cri du coeur. Je ne pense pas changer le monde avec une chanson, mais il y a une volonté de ne pas se fermer la gueule. C’est une évolution d’écriture et personnelle. En tant que peuple, on est très patient et on attend que ça soit à la limite pour exiger ou manifester. On est dans une période difficile, socialement et politiquement et je voulais l’illustrer. Je souhaite qu’on ne détruise pas tout ce qu’on a mis des décennies à construire et je trouve ça dangereux.

C’est en fait naturel l’engagement dans la musique folk, c’est dans ses racines aussi.

C’est clair que dans le folk, il y a cette tradition, très forte. Dylan a écrit des chansons engagées absolument magnifiques. Woody Guthrie était près du peuple. C’est Pete Seeger, un grand archiviste et musicien américain, qui disait «ne vous demandez pas si votre chanson est belle, mais si elle sert à quelque chose».

Je pense que ça toujours été là, mes préoccupations. Je suis un exemple de gars patient et qui attend que ça explose pour faire de quoi. On est rendu dans une période où on a atteint les limites de l’exagération. C’est rendu ridicule. J’ai d’autres textes, plus rentre dedans, qui ne sont pas sur l’album, moins poétiques. Mais ce sont des petits cris du coeur spontanés, ils ne cadrent pas sur mes concepts d’albums.

Comment la musique est-elle arrivée dans ta vie?

La guitare est arrivée vers la fin de l’adolescence. Plus jeune j’étais ben sportif. J’étais le genre de sportif attiré par les arts. Ça été lent avant que je me décide à faire de la musique et de composer. Je n’étais pas un jeune de 22-23 ans confiant. J’ai appris sur le tas, en rencontrant de bons musiciens. Jamais pris de cours de chant ou de musique. C’est instinctif.

Neil Young est une influence majeure pour toi. Ça s’entend, et tu en parles. Comment est arrivé Neil Young dans ta vie?

C’est de mon frère plus vieux! Vers le milieu de mon adolescence. Dès que j’ai écouté Decade, il y a eu de quoi, un déclic. Je me suis dit que «ça», c’est la musique que j’aime, pas nécessairement que je veux faire, mais que j’aime. Il y a de quoi qui m’a attiré dans ce son-là, cette voix-là.

Après lui, j’ai découvert tout le reste, Dylan, le mouvement folk des années 60 et 70. Ce qui me fascinait, c’était la simplicité de tout ça. La beauté dans la simplicité. Juste une guitare, un harmonica et un texte. C’est Neil qui m’a donné le goût d’écrire des tounes.

Sa voix est particulière, la tienne joue dans le même registre. Tu l’as imitée trop souvent?

C’est vrai que les premières chansons que je jouais, c’était lui. Radiohead aussi était bien populaire à cette époque. J’avais une facilité à aller chercher ces notes-là. Quand est venu le temps de chanter mes propres chansons, ça s’est fait naturellement. C’est mon registre, je le force pas. Ça s’est développé tranquillement, sans y réfléchir.

As-tu toujours assumé cette voix?

Non! Au début de Tire le coyote, je ne suis pas sûr que je l’assumais. Il y avait une certaine gêne d’être différent, de sortir du lot. La voix s’est développée, comme mon style. Dès que je l’ai assumée, ça s’est mis à bien aller, mon public s’est agrandi.

Sur Fleuve en huile, on explore. Le son et la voix ne sont pas assumés justement.

J’avais travaillé avec Dany Placard, je lui avais dit de ne pas mettre ma voix trop forte. Ce n’est pas sa faute! Il y avait une certaine gêne.

Avant Fleuve en huile, il y a eu le EP, très down, mélancolique et doux, j’ai fait quelques shows et j’ai eu une volonté de rocker un peu plus. C’était très volontaire de mettre de la pédale et d’aller chercher le côté folk-rock de Placard. Sur Fleuve en huile, je voulais un folk un peu croche, comme le premier Beck ou Palace Brother.

Finalement, je ne suis pas un rocker et j’ai décidé de mettre la pédale douce et ça a donné Mitan. J’ai trouvé mon identité à Mitan. Mon son, c’est l’acoustique. Ma passion pour l’histoire du folk a pris de l’ampleur entre Fleuve en huile et Mitan.

Il y a eu une volonté inconsciente, que ça passe ou ça casse. C’est ce que je suis, ce que je veux faire. Et ça a marché, à ma grande surprise. C’est drôle, mais c’est ça qui touche le plus les gens. La voix les intrigue, ils fouillent et me découvrent.

Tu as commencé la musique tardivement, quand est arrivée l’envie d’en faire une carrière musicale?

La démarche a toujours été sérieuse, mais avec beaucoup de modération, même à l’époque de Fonojône. Je mettais du temps, j’aimais ça, mais je n’y croyais pas de pouvoir faire mon chemin là-dedans.

Fonojône, ton premier groupe, avec ton frère ainé. Un son différent, du rock, de l’électro, assez pop au final. Certains vous comparaient à Karkwa.

On était cinq et ça paraissait! J’étais déjà attiré par le folk, mais j’écoutais aussi Karkwa, Malajube, Radiohead. Le côté électro, mais émotif, j’aimais ça, ça m’a amené à explorer ces textures sonores. Ça été une super expérience, mais qui ne pouvait pas durer.

Pourquoi? Vous aviez même fait les Francouvertes.

Oui! On avait fait un EP. Au moment de se séparer, on allait enregistrer notre premier album. Des chansons qui ne sont jamais sorties! Il y avait beaucoup de divergence d’opinions. C’est bien que tout le monde ait ses idées, mais ça demande des compromis. Je pense que déjà je sentais la volonté d’écrire mes tounes et de contrôler l’affaire.

Après Fonojône, c’était sûr pour toi que tu allais continuer?

Le désir était fort, mais c’était un désir qui était accompagné d’une crainte, je n’assumais pas cette volonté, pour ne pas avoir d’attente, ou ne pas me faire mal si ça ne marchait pas. Mais je travaillais autant que je travaille là. Je cherchais, j’explorais. À la fin de Fonojône, j’ai commencé à écrire ce qui est devenu Tire le Coyote.

Le nom, Tire le Coyote… Pourquoi ne pas se produire sous ton nom, Benoit Pinette?

J’ai un drôle de nom! Je trouve que ça sonne mal! À l’époque du EP, je ne voulais pas mon nom. Je voulais imager le projet, dans ses racines folk. Un côté western à la Sergio Leone. Je voulais aussi contraster avec la douceur du EP, dans mon nom.

Une personne inséparable à ta musique est Benoit Villeneuve, alias Shampouing.

C’est le seul qui est là depuis le début de l’aventure. Il a accepté dès le départ de jouer avec moi. À la base, c’est un guitar hero, et moi je lui ai dit de faire la même chose, mais sur une guitare acoustique et est né cette couleur-là. Oui, Tire le Coyote c’est mon projet, mais il est indissociable.

On sent une soif d’authenticité chez Tire le Coyote. Ce n’est pas évident de toujours être authentique dans l’industrie musicale, elle ne t’écoeure pas trop?

Je me démène en me posant pas trop de questions. Je fais des choses qui me touchent. Je n’écris pas pour faire plaisir, ou pour passer à la radio. En étant autodidacte, j’ai toujours accordé beaucoup d’importance à l’instinct et à la spontanéité. Peut-être qu’elle vient de là l’authenticité qu’on me colle. J’accepte les imperfections. Dylan et Young, ils ne reprenaient pas leur chanson 27 fois en studio. Neil Young enregistre encore en one take. Il y a de quoi de profondément humain là-dedans. Ce qui m’intéresse dans l’art, c’est l’humanité qui en ressort. L’authenticité vient toute seule.

Je vais au-delà de cirque. Je suis devant un humain et je parle à lui. Que je sois à CKRL ou à TVA, je parle à quelqu’un. Je regarde les choses comme ça. J’ai envie de faire de la musique, j’ai besoin de faire des entrevues, de me mêler à cette industrie, de faire des entrevues dans des postes que je n’écoute pas, mais je ne change pas ma manière d’être, qu’importe où je vais ou où je suis.

Rêves-tu de la France? Du milieu anglophone? De plus grandes tournées?

Maintenant oui! Je pense que je suis quelqu’un d’angoissé qui veut que les choses avancent, mais qui se met des freins lui-même. Une peur que ça aille trop vite. Depuis 6 mois, je ne fais que de la musique. Je peux maintenant le faire et je n’ai jamais eu autant le goût de continuer à faire ça. Composer des tounes, c’est un des plus beaux moments d’extase dans ma vie. Si ça passe par la France, si c’est par le milieu anglophone, ça sera ça. Je pense que ma musique peut plaire dans le reste du Canada, aux États-Unis. On est rendu solide, mes musiciens et moi. Il y a une volonté de jouer le plus possible.

On te colle au vieux folk, aux artistes profonds, aux textes soignés… As-tu des plaisirs coupables?

(rires) Bien oui! J’adore les Trois Accords, c’est niaiseux, mais c’est bien fait! Le dernier est excellent! Faut pas penser que je suis toujours dans mon élément et que j’écoute toujours des choses profondes!