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IOIOIOIOIOIOIOIOIOIOIOIO

C’est en lisant et en disant leurs textes que la loi 101 est devenue, à mes yeux,

un poème à trois chiffres.

Y’a pas de mot pour exprimer mon attachement à la langue arabe.  Je la porte en moi comme ma chair.  De toutes les langues, je me sens privilégié que ce soit l’arabe qui fait partie intégrante de mon identité.  De mon âme.  J’ai parfois l’impression qu’elle a été programmée dans mon ADN.

Mon père enseignait l’arabe.  Il lisait le Coran à haute voix. Il citait les poètes.  Il écrivait des poèmes. Il me dictait des vers qui n’en finissaient pas.  Très jeune, au fil de mes lectures et mes écritures, j’ai pris conscience du grand héritage culturel que cette langue transmet, de génération en génération.   Plus tard, sur scène, j’ai incarné avec bonheur cet héritage dans différents personnages.

Si par malheur, ma langue arabe devait être menacée, je me bâterais pour la défendre.   Je crierais haut et fort, en exigeant des lois et des règles pour la protéger et pour assurer son rayonnement.  Pour qu’elle demeure vivante dans les cœurs et les esprits.

Ma langue arabe, c’est ma culture, c’est mon imaginaire, c’est ma vie et celle de quelques 300 millions de personnes dans le monde.

Mon amour et mon attachement pour la langue arabe, c’est en français que je vous le dis!

C’est en français que je le déclare.

C’est en français que j’écris mon amour pour la langue arabe, parce que c’est au Québec que je vis depuis 30 ans.  Parce que si la langue arabe n’est menacée nulle part dans le monde, le français au Québec décline très lentement mais sûrement.   Et cela m’inquiète.

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Les données du Recensement 2011 de Statistique Canada révèlent que le français à Montréal se parle de moins en moins à la maison. Que depuis 1986, le français en tant que langue d’usage à la maison est passé de 61,8 % à 53 %, et le pourcentage de francophones de langue maternelle à Montréal est descendu sous la barre des 50 %.

Montréal est le cœur du Québec. Tous les québécois devraient se sentir concernés par le déclin du français à Montréal.

On apprend par ailleurs qu’entre 1981 et 2010,  le régime de libre choix a profité à 120 000 francophones qui ont choisi de poursuivre leurs études aux CEGEP anglais et seulement 10 000 anglophones ont choisi, dans les 30 dernières années, le CEGEP francophone.

Pourquoi le français décline au Québec et à Montréal en particulier ?

Le dossier de la francisation au Québec est depuis trop longtemps otage des partisaneries souverainistes et fédéralistes.  Ce n’est pas un hasard si les fédéralistes, une fois au pouvoir, se montrent plus laxistes à l’égard des programmes de francisation et la langue d’affichage. Ils sont incapables de dissocier la protection du français du projet souverainiste.

Ce n’est pas un hasard si les souverainistes, une fois au pouvoir, affichent leurs préoccupations du recul du français à Montréal.  Ils savent pertinemment que le projet souverainiste est intimement lié à la protection du français.

Le défaut des fédéralistes est leur incapacité de concevoir la protection du français comme importante en soi.  Le défaut des souverainistes (depuis une dizaine d’années) est leur incapacité de débarrasser leurs discours sur la protection de la langue d’une certaine crispation identitaire.

Les souverainistes s’inquiètent avec raison.  Mais ils ne protégeront jamais le français en donnant l’impression à celui qui vient de débarquer à l’aéroport de Montréal que le sort du français au Québec dépend de lui.   Ils devraient plutôt lui offrir, si nécessaire, des cours de francisation et si possible de mettre  sur son chemin des poèmes et des poètes dans la langue de Miron, de Langevin, de Laferrière, de Vigneault, de Blal, de Boucher, de Benyahia et de Benkirane. Tous des québécois et des québécoises, de toutes origines, qui font briller la langue française ici et ailleurs dans le monde.

Si les nouveaux arrivants, non francophones, doivent se sentir sérieusement concernés par la situation du français au Québec, les québécois, qu’ils soient de souche ou d’adoption, devraient peut-être leur donner l’exemple.

Comment ?  En manifestant bruyamment  face aux responsables politiques leur inquiétude et en affirmant de nouveau l’urgence de consolider les mécanismes de protection de la langue.  C’est ce sentiment d’urgence qui a donné naissance , en 1976, à la loi 101.  C’est par le Parti Québécois que la loi 101 est venue au monde. C’est au PQ, même avec un gouvernement minoritaire, de lui redonner son souffle.  De lui redonner vie.

Cependant, si la voix légale, coercitive, est très importante, même capitale, elle ne suffirait pas pour sécuriser la langue française au Québec.  Pour donner aux non francophones le goût de la parler au travail et à la maison, il faut mettre l’imagination à l’œuvre pour que le français trouve une plus grande place dans leurs cœurs aussi.

En 1989, j’avais manifesté avec quelques 100 000 personnes à Montréal pour exprimer une grande inquiétude face au déclin du français à Montréal.

La même année, dans une exposition que j’avais consacrée à l’Intifada palestinienne, j’ai gravé des « IOIOIOIOIO » sur des petits morceaux de pierres que j’offrais symboliquement aux visiteurs de mon exposition.  Sur les grandes pierres, j’ai calligraphié des poèmes de Langevin « Qu’à cela ne vache, qu’à cela ne chienne, ce fleuve de douleur apporta la révolte.. » et de Miron « Je ne chante pas, je pousse la pierre de mon corps ».

Si je devais refaire la même démarche artistique aujourd’hui, j’irais planter ces pierres  sur les murs des garderies et des CEGEPS.  Voilà deux lieux où le français devrait être consolidé par la loi et par la poésie.

C’est en côtoyons des Gaston Mirons, des Gilbert Langevin, des Patrick Straram, des Denise Boucher, des Blal et des Benyahia que le Québec a trouvé sa place dans mon cœur.  C’est en lisant et en disant leurs textes que la loi 101 est devenue, à mes yeux, un poème à trois chiffres.

Le Québec compte dix fois plus de poètes qu’en France. Mais où sont-ils ? Où se cachent-ils ?  Ils sont partout sauf là où ils devraient être de nos jours: Dans nos médias, dans nos journaux et dans nos écoles.

Nous sommes loin des années 70 où les poètes faisaient la tournée des CEGEPS.  Ils ne faisaient pas de discours sur l’importance de la survie du français, ils se contentaient de dire leurs poèmes.   Ces rencontres cultivaient chez les jeunes la fierté de l’appartenance à une langue souveraine de ses poètes.

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Aujourd’hui, alors que le français à Montréal est moins parlé qu’en 1989, que reste t-il de cette fierté d’appartenir à une langue qui a traversé quatre siècles de résistance ..?

Une langue belle, une langue vivante..

Une langue que mes enfants portent comme leur chair.