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300 ans d’amour!

Il y a de cela bien des années. Je devais avoir à peine 7 ans. Notre maison se trouvait juste en face de l’école. À peine une trentaine de mètres me séparaient d’elle. C’est dans cette école que j’ai vécue ma première année primaire. Là où mon père enseignait du côté des filles.

Comme j’étais le premier de la famille à fréquenter l’école, mes premières sorties au début de l’automne 1967 se faisaient sous tous les regards.  Mes sœurs et mes frères m’enviaient déjà. Avant de franchir la porte de l’école je me retournais pour leur faire un petit bye bye.   Comme dans un film!

Un jour, de tous ces regards, ils manquaient ceux de ma grand-mère. Elle était partie en voyage, chez un de mes oncles. Après quelques jours, je me rappelle bien que cette absence commençait à me peser. Je rentrais en classe avec en moins le regard affectueux de Lalla. Ce n’était pas la première fois qu’elle partait en voyage pour quelques jours. Mais cette fois, les jours sont devenus des semaines.  J’avais peur qu’elle ne revienne jamais.

Je me rappelle bien à ma sortie de l’école, avant de rentrer, je restais assis longtemps auprès de la porte de la maison en regardant au loin, espérant que dans toute cette foule, ma grand-mère finirait par jaillir. Je fixais intensément mon regard sur le trajet qu’elle empruntait pour son retour chez-nous. Il faut dire que chez-elle, c’était chez-nous. C’est dans notre maison, sept ans plutôt qu’elle m’avait recueillit. J’étais le premier de son dernier.

Et soudain, elle apparu. Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai abandonné mon cartable sur la marche pour courir de toutes mes forces en sa direction. Je voulais la surprendre en la prenant dans mes bras. En la couvrant de baisers. Je sentais déjà la chaleur de sa peau si douce. Je courrais comme un assoiffé qui vient de percevoir de l’eau. Ma joie était telle que je criais fort »Lalla, Lalla, Lalla.. ». Et puis, j’ai continué à courir sans m’arrêter à elle, pour la simple raison que ce n’était pas elle. J’avais cru trop vite à mes yeux!

C’était une autre femme! Du même âge que Lalla, elle portait une djellaba de la même couleur que la sienne.

Je suis rentré bredouille. Mon cartable à la main et mes larmes que je ne pouvais plus retenir. Aussitôt la porte s’est refermée derrière moi, j’ai crié à nouveau et de toutes mes forces « Lalla.. ».

Cet après-midi d’automne 1967, allait rester marqué définitivement dans ma mémoire. Le jour où ma grand-mère avait surpris toute la famille en revenant de son voyage alors que j’étais encore en classe. C’est elle qui avait essuyé mes larmes abondantes. « Ne pleure pas, je suis là ».

J’entends encore ses mots,  je ressens sa main tendre sur ma tête.  Je m’émerveille de sa démarche, de son sourire, son rire.  Je m’endors sur la sensation de ses doigts caressant mes cheveux.  Et sa voix me racontant, me chantant des histoires…

De toutes les grands-mères, le destin m’a offert la meilleure.   20 ans, après son départ,  je vis de son inestimable héritage.  Elle m’a laissé de quoi me nourrir et donner, pour 300 ans d’amour.

Pas un jour de moins!
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Le crépuscule, « Lalla » et le hasard?

Mon frère propose à son ami souffrant d’aller prendre l’air de la mer et de voir le coucher du soleil au bord de l’Atlantique. Il lui donne rendez-vous « 6h, je viens te chercher en voiture« . À 5h45, il l’appelle. Notre ami n’est pas prêt « Donne-moi encore une demi heure ». « Oui, mais le soleil n’attend pas« . Finalement, c’est ma mère qui accompagnera mon frère pour apprécier le crépuscule d’une fin de journée d’un 28 décembre 2012. Derrière la plage, il y a un grand cimetière où « Lalla » est enterrée. Avant la fin du crépuscule, mon frère propose à ma mère d’aller se recueillir sur la tombe de notre grand-mère. Comme veut le rituel, lecture du Coran et lavage de la tombe sont de mise.. Comme d’habitude, mon frère se penche pour ôter les petits escargots qui dominent la tombe jusqu’à couvrir les quelques mots qui désignent le nom et la date du décès de « Lalla« , 28 décembre 1992. 20 ans, jour pour jour, le hasard voulait que mon frère et ma mère soient au bon endroit et au bon moment. Mon frère se retourne vers le ciel pour regarder ce qui reste du crépuscule avant de lâcher un coup de fil à son ami et lui dire « Merci »...« Lalla« , 20 ans déjà!! Que nous reste t-il d’elle..?

300 ans d’amour!