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Le couscous de ma mère!

(Texte dédié à Annie Desrochers)


Nous sommes en mars 1982.  Dans les couloirs de l’Université Laval, je suis entouré d’une dizaine  d’amis de classe.  Je viens de terminer le tournage de mon premier court-métrage..   L’ambiance est à la fête.  À la surprise de tous, je sors  de mon chapeau une bouteille de champagne..     

Tout en appréciant la surprise, le preneur de son est venu me confier son rêve.  « À la fin du prochain tournage,  tu nous offriras  le couscous ».  L’assistante à la réalisation a entendu et aussitôt, elle a ajouté « Si possible, la recette de ta mère ».

Mes deux amis ont exprimé un petit rêve au moment même ou moi je venais de réaliser un grand.   Je me sentais donc grandement redevable et reconnaissant à ces jeunes québécois qui venaient de me faire le cadeau de leur confiance.   

En une journée de tournage, ils étaient entièrement dévoués à mettre en oeuvre une folie cinématographique.  La mienne.  Ils méritaient effectivement beaucoup plus que le champagne..  

Mais à cette époque, bien avant de quitter le Maroc, le couscous n’était plus vraiment mon truc.  Mon arrivée sur la terre d’Amérique rendait officiel mon divorce avec le plat national.  Du moins, c’est ce que je croyais jusqu’au moment ou une jeune québécoise me réclama la recette de ma mère.   

Devant la demande spéciale, je me sentais soudainement porter une responsabilité digne des hautes missions politiques.  Me nommer ambassadeur du Maroc au Canada, aurait été plus supportable que de me demander l’exécution d’une recette qui relevait, pour moi, du pur mystère.   

D’ailleurs le vendredi midi, je fuyais le couscous de ma mère en lui préférant un des meilleurs hamburger en ville, au prestigieux « Jour et nuit », au coin de ma rue.

Je ne détestais pas le repas du vendredi. J’en avais tout simplement marre.   

À la jeune assistante de réalisation, j’ai répondu simplement et naturellement que désormais le meilleur couscous en ville, c’est chez-moi qu’elle allait le manger.   Qu’en matière de couscous, j’étais l’expert et qu’elle en sera bientôt l’heureuse témoin.  

« Je vais le croire quand je vais le goûter » a t-elle réagit.  Un rendez-vous a été fixé.   Au prochain dimanche midi, toute l’équipe de tournage était invitée chez-moi pour honorer la recette de ma mère.

« Le champagne chers amis, ce n’était que pour vous introduire à mon couscous ».    Seule la victoire des Nordiques du Québec aurait eu le même effet sur ces jeunes que j’allais bientôt recevoir chez-moi. 

Chez-moi, je ne possédais rien et j’avais une semaine pour retrouver plus qu’une recette, toute une identité.   Alors que sur ma terre natale je rêvais de leur hamburger, eux rêvais de mon couscous.  Et c’est sur la terre d’Amérique, à 5000kg de ma mère, que j’e devais vivre ce délicieux choc des rêves.  

À chacun, son exotisme.  C’était à mon tour d’être objet du désir et de rêve de l’autre.  Le rêve marocain.  Une agréable sensation que je voulais prolonger, longuement. 

Une sensation dont le prix à payer c’était de réhabiliter l’honneur et le privilège d’être le fils aîné de ma mère.  Je devais donc exécuter une des plus mystérieuses recettes que la terre ait connu.e.  Du moins, c’était ma conviction.

Avant toute chose, il me fallait trouver quelque chose qui pourrait remplir les fonctions d’un couscoussier.  Quand à la recette, pour gagner du temps et épargner de l’argent, j’ai cru naîvement faire appel au cuisiner d’un restaurant tunisien sur la rue St-Jean du Vieux Québec. 

Quand il m’a confié que le secret de sa recette  j’ai aussitôt crié au secours.   Ce malheureux jugeait bon d’ajouter de la moutarde et un peu de sucre dans sa marmite. Me voilà résigné à me tourner vers la seule personne qui pouvait me tirer honorablement d’affaire.  J’imaginais déjà son éclat de rire.

En 1982, le Maroc était encore loin d’assurer à chaque foyer la communication téléphonique.  Nous étions à des années lumière de l’efficacité de l’internet, de Wikipédia et de la magie de Skype.   

Pour l’avoir au bout du fil, ma mère, à Rabat, devait descendre chez l’épicier d’en bas et moi, je devais attendre qu’on lui fasse le message.   Ma petite bourse d’étudiant en prenait un coup.  Mais, à 22 ans, qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour être objet de  rêve de l’autre. 

Par moi, c’est toute une culture qui allait faire son chemin dans le coeur de quelques jeunes nordiques ouverts sur le monde..  Je n’avais pas l’habitude d’une ouverture à l’autre à double sens.

Enfin, ma mère est là!   

« D’abord, tu commences par bien laver tes mains, ensuite tu dis Bismiallah.. ».  J’ai pris en note le reste de la recette sur deux pages, n’écartant aucun détail.   En les relisant, je me suis rendu compte à quel point, la recette était compliquée mais absolument pas mystérieuse.  Je me sentais bien d’attaque, comme si je venais de découvrir en moi une vocation longtemps cachée.  Faire de la cuisine.  

Le jour J, mes camardes de classe étaient tous au rendez-vous, accompagnés de leurs tchums, de leurs blondes et de plusieurs bouteilles de vin.  

Je ne vous dis pas l’ampleur des réactions à ce couscous,  le premier de ma vie, fait de mes propres mains.  J’avais consacré une journée entière à le préparer, ne décollant pas les yeux des deux pages que ma mère m’avait dictées.

C’est par terre que mes convives ont abordé le couscous, séparé en deux grandes assiettes.  J’ai pris la peine de leur préciser que ce n’était évidemment pas la seule façon, chez nous, de manger le couscous.  

Et pour ne pas faire les choses à moitié,  avant de les accompagner à la sortie, j’ai offert à mes amis de classe, chacun, chacune, une copie de la recette de ma mère.

À la porte, jai insisté sur trois fautes à ne jamais commettre dans la recette:  « SVP,  pas de moutarde, pas de sucre et surtout pas de merguez ».  Un de mes amis a osé émettre son opinion « Pas de moutarde, pas de sucre, je comprends, mais pas de merguez, là, tu me prends au dépourvu ».   

Encore une fois, c’est la jeune assistante à la réalisation qui a réagit en me volant les mots de la bouche.   « Je crois que tu insulterais sa mère ».  

Mon ami de classe a eu droit à tout un discours pour lui démontrer que le merguez est une insulte dans une recette de couscous digne de ce nom.  Le merguez, surtout piquant, est une invasion injuste et illégétime contre tous les arômes et les atomes que la variété des légumes et des viandes produisent sur le petit feu.  Mettre le merguez dans une recette de couscous est une déclaration officelle de faiblesse. 

« Qu’est-ce que tu dirais aux algériens et aux tunisiens qui ne font pas de couscous sans merguez? ».  À cette question, fort pertinente, je n’avais qu’une réponse.  En paraphrasant le Coran, j’ai dis: « Vous avez votre couscous et j’ai le mien ».  Ce qui a déclenché le rire de tous en mettant fin à cette mémorable soirée qui a marqué le début officiel de mon entrée dans le fabuleux et merveilleux univers de la cuisine de mon pays.

Depuis 33 ans, le couscous est devenu une des spécialités que j’aime de temps en temps partager en famille et avec des amis.   Mais, combien je me sens petit chaque fois que je goûte au couscous de ma mère.  Pourtant, c’est sa recette que j’applique à la lettre.  

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La voici dans l’ordre d’entrer dans la grande marmite:

Étape 1: Ognons,  viandes (veau, poulet et agneau), pois chiche (préparé la veille dans l’eau).  Les épices sont ajoutées dès la première étape:  Sel, poivre noir et curcuman. Ajouter un peu de beurre normale avec de l’huile d’olive.  À la dernière étape, ajouter un peu de beurre rance « S’men ».

Étape 2:  Choux, carottes, gourganes, navets et tomates. 

Étape 3: Patates sucrées, patates, courgettes, potiron rouge. poivrons verts et rouges.  Et la corriandre que vous attachez entière par un fil et vous la trempez dans la sauce.   

Le choix des légumes est variable, mais les incontournables sont les patates sucrées, le potiron rouge. Certains ajoutent les aubergines et les pois verts.

Malgré sa simplicité, la préparation de la semoule  est tout un art que les débutants pourraient apprendre dans ce lien:  http://www.youtube.com/watch?v=WeKetMvfNHY

Comme dans toutes les recettes, le secret du couscous est de laisser fondre les différents arômes les uns aux autres à petits feux. 

Il existe au moins cinq variétés de couscous au Maroc.  Le couscous royal aux viandes et légumes.  Le couscous au T’faya, un chef-d’oeuvre que je n’ai jamais osé attaquer.  Sur recommandations de certains médecins, le couscous végétarien fait son apparition.  Le couscous au Seffa est le plus simple (Semoule, sucre, cannel et lait).  Couscous sikouk, c’est uniquement de la semoule préparé à la vapeur et servi dans du lait caillé. 

La semoule du couscous peut être de blé, de concassé ou de boulghour.  

Mais, comme dirait l’humoriste et l’acteur algérien Fellag (Monsieur Lazhar), il y a autant de recettes de couscous qu’il y a de mamans.  

La meilleure est évidemment celle de ma mère.

http://www.youtube.com/watch?v=30bscMCh94c