Musique

Prise de son : Notre-Dame de partout

Après avoir conquis Paris l’automne dernier, le spectacle musical Notre-Dame de Paris débarquait finalement en ville la semaine dernière et y sera présenté, à guichets fermés, jusqu’au début du mois de juin… dans un premier temps. Après avoir beaucoup vu, beaucoup lu et beaucoup entendu sur la plus récente création de l’auteur Luc Plamondon et du compositeur Richard Cocciante, bien franchement, j’avais vraiment hâte de voir de quoi il en retournait exactement…

Il faut d’abord préciser une chose: pour apprécier le moindrement Notre-Dame de Paris, il faut accepter le genre. On n’a affaire ici ni à un spectacle alternatif ni à une superproduction hollywoodienne. Il s’agit, simplement et entièrement, d’un spectacle musical. Pas d’une comédie musicale. On ne rit pas une seule fois pendant les deux heures et quelque que dure le spectacle.

L’intrigue est relativement simple: une bohémienne, Esméralda (Hélène Ségarra), est aimée et désirée par plusieurs hommes. D’abord, son père adoptif, chef des sans-papier, interprété par Luck Mervil. Puis, par Phébus (Patrick Fiori), capitaine de l’armée du roi et fiancé de Fleur-de-Lys (Julie Zenatti). Mais aussi par le curé de Notre-Dame de Paris (Daniel Lavoie), par son Quasimodo de bedeau (Garou) et par Gringoire, le poète, incarné par Bruno Pelletier.

Je ne vous livrerai pas le détail des tableaux ni de l’anecdote. Par contre, je peux aisément vous dire que des trois spectacles musicaux écrits par Plamondon que j’ai vu (Starmania, La Légende de Jimmy et Notre-Dame de Paris), ce dernier est résolument le meilleur. D’abord, parce que chacune des chansons sert à faire avancer l’histoire, et que celle-ci, grâce à sa simplicité volontaire, est limpide. Pas d’emberlificotage à la Starmania, ni de surplace continuel à La Légende de Jimmy.

La musique de Cocciante est à l’avenant. D’inspiration latine européenne, elle se déploie avec grâce et lyrisme, malgré le fait que nous ayons à endurer des bandes préenregistrées plutôt que des musiciens live. Il y a cependant là des airs très porteurs. On connaît déjà par cour Belle ou Le Temps des cathédrales. On découvrira un jour Dieu que le monde est injuste ou Vivre. De réellement bonnes chansons.

Le travail de Gilles Maheu à la mise en scène est beaucoup plus difficile. Et, à mon sens, pas toujours convaincant. Certains numéros, particulièrement dans la première partie, rappellent la malheureuse époque du ballet-jazz. Et trop de chansons sont interprétées devant le rideau ou devant un tulle translucide. Cela dit, je comprends quand même les obligations de changements de décors, de costumes, etc.

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Côté interprètes, mon premier coup de chapeau va à Daniel Lavoie, qui a probablement le rôle le plus riche de toute la distribution, le seul qui ait plus d’une facette, le seul réellement déchiré, qui vit un drame intérieur fort. Et Lavoie l’interprète vraiment. Il chante comme jamais il n’a chanté: il le fait non seulement brillamment d’un point de vue technique, mais avec toutes les intentions et toutes les intonations nécessaires à la compréhension du personnage. Rôle ingrat parce que détestable, mais tellement bien rendu qu’il est aisément pardonné.

Ma grande surprise vient cependant de Garou, que je n’avais jamais vu sur scène. Voilà un chanteur complet: une voix éminemment personnelle, reconnaissable entre mille, mais aussi un réel talent d’interprète. J’avais, bien honnêtement, un peu peur qu’il en fasse trop. Mais non. Son Quasimodo ne peut être vraiment sobre, à cause de son infirmité et de son costume, et il le rend très bien.

Luck Mervil est tout aussi étonnant. On sait depuis longtemps qu’il a un charisme certain et une présence incroyable sur scène. Mais on savait également que sa voix pouvait quelque peu déraper par moments. Jeudi dernier, au Saint-Denis, il a été d’une grande justesse, tant sur le plan technique qu’émotivement.

Le rôle de Bruno Pelletier est lui aussi ingrat. Gringoire, le poète, est unidimensionnel et sert parfois de narrateur. Difficile de mettre de l’émotion dans des chansons qui ne sont là que pour propulser l’histoire. Pourtant, Pelletier le réussit. De toute la bande, il est le seul à voir cette aisance vocale. Jamais, même pendant le fameux Temps des cathédrales, en ouverture, on n’a l’impression qu’il force ses cordes vocales.

Au risque de paraître chauvin, je vous dirai que, comparativement aux chanteurs québécois, les interprètes français ne font pas le poids. Hélène Ségarra en Esmeéralda manque considérablement du charme sauvage et de la sensualité que devrai posséder son personnage. Quant à Patrick Fiori, il n’a vraiment pas le panache nécessaire pour interpréter un rôle d’une telle envergure.

Ces quelques réticences n’empêchent rien. Notre-Dame de Paris – je le répète: pour peu qu’on accepte le genre – est vraiment un très bon spectacle. On a maintenant hâte de voir la production entièrement québécoise…