Black & Blue : Y a-t-il un son gai?
Musique

Black & Blue : Y a-t-il un son gai?

Nous avons demandé à quelques acteurs de la scène locale et internationale de répondre à cette question…

Tous les samedis, la musique du D.J. Stephan Grondin est propulsée dans les haut-parleurs du Club Unity, puis dans un after-hour bien connu, le Redlight. Aux deux endroits, il ne suffit que d’un bref tour de piste (de danse, bien sûr) pour reconnaître l’aiguille alerte et plutôt hard de Grondin. «Avant de partir travailler, je fais deux piles de vinyles. Une pour le club gai, une pour le club straight. On ne spinne pas les mêmes disques dans un club homo que dans une boîte hétéro, c’est connu.»

Effectivement, les D.J. ont répété mille fois cette notion rudimentaire de l’art de manier la platine: la clientèle gaie exige une musique fort différente des hétéros. Caroline Rousse, de la Fondation du Bad Boy Club Montréal, parle même du «son gai»: «Pour le Black & Blue, par exemple, on ne sollicite pas des groupes comme les Chemical Brothers ou Underworld. Même si leurs qualités musicales sont indéniables, ils ne sont pas forcément appréciés ou connus de la majorité de la clientèle gaie. De façon générale, les gais vont aimer des chansons avec des voix. C’est ce qui explique l’engouement pour certaines divas de la scène house comme Kristine W ou Veronica, ou des vedettes internationales comme Madonna ou Whitney Houston. Toutes ces chanteuses sont d’ailleurs conscientes du poids des remix de leurs chansons par des D.J. vedettes à la Peter Rauhofer ou Victor Calderone.»

«Tout est dans le "diva effect", une attitude à laquelle s’identifient immédiatement les homosexuels, explique Peter Rauhofer, producteur du renommé Club 69. C’est une musique où ce sont des femmes, réunissant à la fois la vitalité et la robustesse, qui prêtent leurs voix. C’est aussi un sens du drame et de l’humour auxquels les straights ne s’identifient pas. J’ai juste un mot pour définir ce son-là: gorgeous.»

Rauhofer s’est d’ailleurs fait connaître avec des tubes dont les paroles reflètent parfaitement l’humour homosexuel: Let Me Be Your Underwear, hymne aux paroles très suggestives à la gloire des Calvin, puis Style, I Look Good, Muscles, et Drama. Parti de Montréal pour Amsterdam il y six ans, Robert De la Gauthier a quitté le Canada au moment où les partys du circuit gai étaient encore rarissimes. En dépit de ses nombreuses visites en Amérique, il s’étonne encore de l’engouement du nouveau son homosexuel: «Aujourd’hui, c’est évident que le son gai américain (le circuit sound) est très distinct. Il est peut-être plus soft à L.A., plus vocal et fluffy à New York, mais toujours spécifique: c’est un son "house/disco filtered house" ou trance.»

Abel entend le son gai de la même façon que De la Gauthier. Ce D.J. chéri des muscles boys de Miami a été de presque tous les partys du circuit, dont le Black & Blue. «Sur toutes les pistes de danse, des rythmes hard house parfois un peu trance sont devenus les sons de rigueur.» Il déplore que sous la houlette des grands remixers, l’homo-consommateur est devenu un peu vulnérable à la commercialisation de la musique. «Le succès commercial de certains remixes exerce parfois sur les simples D.J. une véritable pression, voire une dictature sur ce que l’on doit faire entendre au cours d’une soirée. Les homosexuels partent aujourd’hui dans des partys avec des chansons en tête que nous devons faire jouer. Ça laisse parfois peu de place à la créativité.»

Aujourd’hui, les homosexuels ressentent la commercialisation du son gai comme une libéralisation: les gais se servent enfin de la musique pour parler ou rire des stéréotypes auxquels ils sont confrontés. Sans doute ne faut-il pas y voir le travail des militants gais, mais plutôt celui des dirigeants de l’industrie de la musique, qui ont senti le vent tourner.

Les remixers et les autres artisans de la scène house ont inventé le son homosexuel, et il fait recette. Mais le D.J. montréalais Alain Vinet se demande quel en est le prix: «Il y a cinq ans, les homosexuels étaient ceux qui faisaient et défaisaient la musique et les modes. Si les gais ont toujours été à l’avant-garde (le Black & Blue en est le parfait exemple), ils sont aujourd’hui un peu à la remorque d’un son house répétitif et qui n’évolue pas beaucoup. C’est un paradoxe inquiétant. Les rythmes qu’embrassent les gais les ghettoïsent à nouveau dans un créneau très strict. C’est un peu hermétique et pas très rassembleur comme attitude…»

«Heureusement, ce week-end, la fête est à Montréal, conclut Mark Anthony, le D.J. vedette de l’événement. Pas à New York ou à Miami. Les homosexuels d’ici, de même que tous ceux qui se joignent à nous pour la fin de semaine, savent très bien qu’on leur offrira quelque chose de différent. Et la plupart d’entre eux s’en réjouissent déjà. Au Black & Blue, plus qu’à tout autre party gai à travers le monde, on peut se permettre d’aller chercher de la musique de partout sur la planète et de ne pas s’en tenir seulement aux remix des divas américaines.»

le 10 octobre
Au Stade olympique
Voir calendrier Événements