Ben Harper : Renaître de ses cendres
Musique

Ben Harper : Renaître de ses cendres

Avec un quatrième album sous le bras, Ben Harper continue son exploration des racines musicales américaines et revient nous donner une leçon de sagesse et d’équilibre. Entrevue avec un des artistes importants de la décennie.

Burn to Shine: brûler pour briller. Voilà un titre prédestiné pour le quatrième album de Ben Harper, certainement le plus éclectique et électrique de sa carrière discographique, entamée en 1994 avec Welcome to the Cruel World. De son propre aveu, Burn to Shine représente le début d’un nouveau cycle. C’est d’ailleurs la première fois qu’il crédite clairement son groupe, The Innocent Criminals (formé de l’imposant Juan Nelson à la basse, Dean Butterworth à la batterie et David Leach aux percussions), comme responsable en grande partie de la facture musicale. Rencontré dans sa suite d’hôtel lors de son récent passage à Montréal, où il en profita pour donner un concert à MusiquePlus, le chanteur au visage pharaonique et à l’aura mystique explique ce geste: «Je n’ai jamais eu une telle osmose avec un groupe! Et ce disque est tellement marqué par leur contribution que je ne pouvais que leur en donner le crédit.»

Il faut bien l’avouer, Burn to Shine a donné quelques maux de tête aux critiques musicaux; si l’intensité et l’intimité auxquelles nous avait habitués le grand Ben sont moins apparentes, le plaisir et l’exploration sont, par contre, bien palpables. Quelques-uns furent déçus, d’autres, satisfaits, mais très peu tombèrent sur le cul. Il faut dire qu’après trois albums fabriqués dans la continuité, il aurait fallu un virage à 180 degrés pour épater la galerie. Et comme les coups d’éclat n’ont jamais vraiment fait partie de ses habitudes de création, Harper a préféré nous prendre par la main pour nous faire traverser la rue. Mais ne comptez pas sur lui pour s’auto-analyser. Il ne l’a jamais fait et ne le fera probablement jamais: «Peut-être y a-t-il une plus grande diversité musicale sur l’album, je ne sais pas, je suis encore trop collé dessus. Et de toute façon, je suis Ben Harper; je ne vois pas les différences dans mon travail, je ne fais qu’écrire des chansons et les enregistrer. C’est au reste du monde qu’il appartient d’analyser mon évolution. Ce que je fais est une musique alternative qui, par la grâce de Dieu, a trouvé sur son chemin une étiquette de disques majeure pour lui permettre de rejoindre un plus large public. Mais au fond, ce n’est que de la musique roots, rock, blues et folk, et c’est un miracle qu’elle ait toute cette attention.»

En fait, c’est lorsqu’il parle des autres qu’il est le plus à l’aise. Comme lorsque j’ai abordé sa rencontre avec une jeune activiste écolo du nom évocateur de Julia Butterfly, qui, du haut d’un séquoia, protestait contre le désir d’une compagnie d’exploitation forestière d’abattre une partie de cette forêt du Nord de la Californie, où se trouvent les derniers spécimens de ces arbres millénaires. Il a appris qu’elle était une fan de sa musique; il avait une journée de congé, il est donc allé à sa rencontre. «C’était une journée incroyable! s’exclame-t-il avec une réelle tendresse dans le regard. Monter dans cet arbre pour rencontrer cette fille formidable… C’est une héroïne folk des temps modernes! Julia m’a inspiré, elle m’a donné beaucoup de motivation. Une personne qui est capable de monter dans un arbre à cent cinquante pieds du sol et d’y rester pendant un an et demi pour sauver une forêt est une héroïne pour moi. Ça nourrit mon âme. Et laisse-moi te dire que j’avais la chienne là-haut, et qu’il faisait très froid!»

Pendant qu’il a la tête ailleurs, profitons-en pour revenir à lui… À l’aube de la trentaine, ne serait-ce pas un bon moment pour faire un bilan de mi-parcours? «Je crois qu’émotionnellement, psychologiquement et spirituellement, mes croyances sont plus profondes, et plus complexes aussi. Je m’affaire donc à les simplifier pour continuer à apprendre, à grandir dans mes ambitions et mes sentiments. J’essaie simplement de m’améliorer en tant qu’être humain. Chaque jour, j’essaie d’évaluer comment mes idéaux et mes croyances passent le test du temps. Et c’est très difficile car les possibilités que nous offre la vie sont infinies. C’est un combat constant entre la paix et le chaos. Le défi, c’est de rester centré, de faire la balance entre ces deux états. Et pour ce qui est de ma musique, ça évolue constamment. J’arrive à un certain niveau d’habileté dans l’art de chanter, d’écrire des chansons et de jouer de la guitare. C’est ce qui me nourrit le plus, ce qui me donne l’impression de vivre. Peu importe le nombre de personnes qui viendront me voir, je ferai de la musique toute ma vie. Enfin… tant que je continuerai d’en tirer autant de joie.»

Pourtant, lors de son dernier passage au Métropolis, en mars 1998, le pauvre Ben nous avait laissés un peu sur notre appétit. Rarement avait-il paru aussi absent, ne s’adressant pratiquement pas à la foule, qui n’aurait d’ailleurs pas demandé mieux que de se faire convaincre qu’il partageait son plaisir. Mais non, rien ne semblait vouloir le faire sortir de sa bulle. On a supposé un horaire de tournée trop chargé ou tout simplement une de ces journées où le coeur n’y était pas. Selon le principal intéressé, il ne faut pas se fier à son attitude sur scène pour tirer des conclusions rapides: «C’est une question d’émotions, ce n’est pas nécessairement relié à l’environnement dans lequel je me trouve. Certains soirs, j’ai besoin de me concentrer davantage sur les chansons, alors que le lendemain je peux me sentir plus bavard. À l’intérieur d’un même spectacle, il y a toute une façon de savoir donner et recevoir pour s’assurer qu’on livre le meilleur de nous-même ce soir-là.»

«J’essaie de ne pas trop penser à la création, termine-t-il sur un ton solonnel, pesant chacun de ses mots. Elle vient naturellement si je garde l’esprit ouvert. La vie est une chanson en soi! Je ne suis pas capable d’analyser ma créativité de manière logique. Mon esprit fonctionne de manière musicale et me fournit une source infinie d’inspiration. Et si un jour cette sensation me quitte, je ferai autre chose.» Ne vous en faites pas, ce n’est pas demain la veille.

Les 30 et 31 octobre
Au Métropolis
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