Fabe : Détournement majeur
Musique

Fabe : Détournement majeur

«Les reportages sur les banlieues sont souvent axés sur tout ce qui est négatif, un peu comme dans le film Ma 6-t va crack-er de Jean-François Richet. Ce que je leur reproche, c’est de ne jamais montrer ceux qui revendiquent leurs droits, ceux qui réussissent.»

Quand on n’a pas accès aux privilèges d’un monde facile, réussir est du domaine de la foi. C’est ce que nous prouve Fabe, ex-graffeur de vingt-huit ans, qui a dû trimer longtemps avant de se classer parmi les meilleurs «lyricistes» du rap français. Son titre, il ne l’a pas volé. Avec deux albums à son actif (Befa surprend ses frères, Le Fond et la Forme) et plusieurs collaborations (IAM, Cut Killer), le leader de la Scred Connection nous arrive avec Détournement de son, album-tribune au discours incisif, dénonciateur, qui incite à la prise de conscience.

Réalisé par Cut Killer, Détournement de son, c’est d’abord la réunion de onze beatmakers haut de gamme, dont Cutee B (K-Reen), Medhi (Idéal), et DJ Stofkry, pour n’en nommer que quelques-uns. C’est aussi l’agencement réfléchi de rythmes tantôt jazzés, tantôt hardcore, une écriture fluide alliée à des métaphores saisissantes. Détournement de son se révèle également une carte de visite de l’underground français et de ses rappeurs de talent (Al, Rachid, Neg’ Lyrical de la Martinique). Fabe nous sert ses pièces de résistance: Nuage sans fin, L’Impertinent et la poignante Code noir, traitant de l’esclavage toujours pas reconnu en tant que crime contre l’humanité. «L’Impertinent, ça vient du fait que quand j’étais petit, c’est ce qu’on écrivait sur mes bulletins à l’école.»

Que ce soit pour dénoncer les lacunes politiques de l’État français ou les rouages de son système social, le trafiquant de la rime n’a pas peur de prendre position: «Ce qui me fatigue, c’est de n’entendre parler que des pays qui ont contribué au sous-développement du Tiers-Monde. En général, ces pays industrialisés n’ont fait qu’aller chercher ailleurs ce qu’ils n’avaient pas chez eux. Ils ont construit des usines pour tirer profit de la terre africaine. Ils ont construit des écoles, appris le français aux enfants africains et sont repartis vers la France avec tout ce qu’ils avaient, leur laissant les livres. D’ailleurs, dans les livres d’histoire de la France, il manque beaucoup de pages…»

«Maintenant, en France, on te donne des cours sur l’intégration. Jusqu’à nouvel ordre, aucun Africain, aucun Arabe n’a imposé aux enfants français de parler arabe ou une langue africaine. Je n’aime pas qu’on parle d’intégration parce que ça n’inclut pas l’échange. Il n’y a pas de culture qui soit supérieure. Chaque culture en apprend aux autres.»

Enfin, un type qui nous cause de vérité. Loin d’être de ceux qui se cachent hypocritement derrière la tolérance et la neutralité, son aversion pour l’autorité établie se manifeste par des gestes concrets qui appuient des solutions réelles. «Il y a des gens qui disent qu’ils vont voter pour se battre contre le Front National. Moi, j’irai voter pour quelqu’un en qui j’ai confiance, qui défend les idées qui me représentent; pas les intérêts des multinationales qui investissent dans les campagnes politiques. On vit dans un monde de marketing et de capitalisation. L’argent des campagnes vient des lobby; et un lobby, moi, je n’en ai pas. Même si on traverse une période où ça bloque, il y a quand même des choses à faire, comme, par exemple, utiliser des moyens de pression.» Après son passage à Montréal, Fabe poursuivra sa tournée promotionnelle avant d’attaquer son quatrième album, La Rage de dire, qui nous sera livré au cours de l’année prochaine.

Le 29 octobre
Avec Sans Pression, Yvon Krevé, Obscure Disorder, etc.
Au Spectrum
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