Musique

Laurent Saulnier : Elvis has left the building!

Demain soir, 17 h, il franchira la réception du journal pour la dernière fois, du moins à titre de journaliste. Certains s’en réjouiront, plusieurs le déploreront. Après des centaines de textes, des milliers de critiques et de spectacles, Laurent Saulnier a décidé d’aller se faire voir ailleurs. Sans entrer dans la poutine interne, disons simplement que si ce ne fut pas un grand choc, nous, de la section musique, n’en sommes pas moins profondément peinés. Parce qu’un peu comme il le faisait avec les artistes, Saulnier aimait bien donner la chance à des journalistes sans aucune expérience, à l’écriture parfois boiteuse, mais gonflés de bonne volonté. Il nous a dirigés, nous a faits à sa main; il a parfois semé le doute dans nos têtes, mais, au bout du compte, il nous aura surtout transmis le respect de son métier et les vertus du travail incessant. Merci pour tout, Laurent… On va essayer de ne pas trop te faire honte! (Patrick Marsolais)

Jean Leloup
«Il a parfois essayé d’être ben frette, et ses goûts étaient imprévisibles. Par contre, il n’est jamais tombé dans le téteux, ce qui est rare aujourd’hui. C’est un pro, et je suis content de ce qui lui arrive. Je me disais qu’il allait se tanner de toujours être à des shows, et pourtant je le voyais régulièrement dans les salles de spectacle. C’est bien qu’il laisse, parce qu’il aurait pu continuer et faire son cash, tout en restant MONSIEUR Saulnier. Il ne le fait pas, et ça risque de nous valoir une programmation des FrancoFolies à son image. Cool.»

Éric Lapointe
«On l’a déjà dit: pas facile de triper sur des critiques qui sont pas capables de tenir une guitare ou un micro comme du monde. Mais c’est comme n’importe quoi. Il y en a des pourris, il y en a des corrects, et il y en a des excellents. Laurent est plus qu’excellent: il est intègre. De savoir qu’il va sauter de l’autre bord de la clôture, ça me fait bien plaisir. Mais ça fait aussi un peu peur: comment va être le prochain? À l’avenir, au moins, on va pouvoir prendre une couple de bières avec lui sans que ce soit contre-nature…»

Carole Laure
«Le critique qui donne des ailes à une artiste est un ange. Tu m’as donné des ailes; merci mon ange! Aux nouveaux horizons!»

Luce Dufault
«Laurent, c’est un rebelle, un délinquant. Mais, dans le fond, je pense qu’il aurait aimé ça, être Ricky Martin! Non, mais c’est vrai, il ne lui manque pas grand-chose… Sans blague, je pense que si quelqu’un d’autre avait écrit ce que Laurent a déjà écrit sur moi, surtout pour le premier album, j’aurais ben haï cette personne-là! Mais venant de Laurent, c’est autre chose. Il a vu mes premiers shows dans les bars et il avait des attentes… La dernière fois, il a écrit: «J’ai compris; c’est parce que je l’aime trop.» Moi j’avais envie de lui dire: "Aime-moi donc un petit peu moins…"»

Lhasa de Sela
«C’est d’abord son rire qui me vient en tête, lorsque je pense à Laurent Saulnier. Disons qu’on le savait lorsqu’il était dans une salle de spectacle. C’est un gars qui avait envie de rigoler, qui ne demandait qu’à entrer dans la magie qu’un artiste pouvait proposer. Bien sûr, il était là pour son travail de critique, mais ce qui était merveilleux, c’est qu’on sentait qu’il le faisait d’abord et avant tout pour s’amuser…»

James Di Salvio, Bran Van 3000
«Moi, quand je pense à Laurent Saulnier, je n’ai qu’une seule question: comment ce gars-là fait-il pour être au show des Chemical Brothers et à celui de Ron Sexmith au même moment… J’ai comme l’impression qu’il existe un deuxième Laurent Saulnier caché quelque part. Déconnage mis à part, I was a big fan of his column.»

Mario Peluso
«C’est celui qui, le premier, a parlé de moi et ça a d’une certaine façon, fait boule de neige. Je lui dois sans doute une certaine partie du chemin que j’ai parcouru depuis ce temps-là. Il va nous manquer, parce que je persiste à croire qu’il s’agissait d’un critique pertinent dont la pensée rejoignait souvent la mienne.»

Claude Samson, Vilain Pingouin
«Pour moi, Laurent Saulnier est un peu ce que Pierre Elliott Trudeau a été: un gars brillant, mais qui n’était pas de notre bord… Il est en quelque sorte toujours resté un homme à conquérir, qui ne nous a pas aidés à acquérir une certaine crédibilité dans les milieux underground montréalais. Il nous a honnêtement fait chier une couple de fois, mais je tiens à dire que ce n’était rien de personnel. Quand il nous voyait, on s’entendait sans problème. Ce qui est ironique, c’est que son parcours journalistique couvre sensiblement les mêmes années que notre carrière, et qu’il tire sa révérence, au moment où Vilain Pingouin disparaît…»

Sylvain Cormier, Le Devoir
«Moi, ce qui m’a toujours frappé, c’est évidemment son appétit insatiable pour les spectacles. Je me souviens particulièrement des moments qu’on a vécus ensemble lors des FrancoFolies de La Rochelle, en France, il y a quelques années. On partageait la même chambre, et je ne le voyais jamais de la semaine, puisqu’il rentrait alors que j’étais couché, et qu’il repartait avant que je me lève. Personne ne sera surpris d’apprendre qu’il s’est finalement évanoui dans le train qui nous ramenait à Paris…»

Alain Brunet, La Presse
«Ce que je vais retenir le plus de Laurent, c’est sa constance. Il a été sur le terrain, partout, tout le temps, tout au long de sa carrière journalistique… jusqu’à il y a un an ou deux alors qu’il a un peu ralenti le rythme. C’est un véritable artisan du journalisme de musique. Il est parti du point A au point Z et il a tenu le fort tout le long. Et il a su monter une belle équipe de journalistes, on sentait l’esprit de gang. Je vais toujours me souvenir d’un voyage en train au lendemain des FrancoFolies de La Rochelle où, après une nuit blanche bien arrosée, il est tombé sans connaissance deux fois dans mes bras et ceux de Rudy Caya!»

Patrick Gauthier, Le Journal de Montréal
«Laurent Saulnier est un funambule, un équilibriste (tout vêtu de noir, bien sûr) capable d’être assez ami avec les artistes pour dépasser le superficiel en entrevue; mais assez distant pour les ramasser à l’occasion; capable d’apprécier les musiques les plus pointues comme les plus grand public (n’a-t-il pas déjà flippé pour Roch Voisine et Ricky Martin?); capable de promouvoir la culture locale tout en lui indiquant parfois quelques sentiers à explorer. Quand je pense au départ de Laurent, je pense au grand trou qu’il va laisser. Et je pense qu’on pourra enfin lui casser du sucre sur le dos lors des prochaines FrancoFolies…»

Le proverbe dit: on récolte ce que l’on sème. Comme tu le vois Laurent, dans ton cas, c’est à une variété d’impressions que tu as droit: beaucoup de respect pour ta curiosité insatiable, ton jugement, ta rigueur et ta folie, quelques commentaires baveux (comme tu les aimes d’ailleurs…), et surtout, l’impression générale que tu as marqué l’univers musical québécois. Si tu as su tenir le fort tout ce temps, c’est probablement que tu as mis en pratique ce petit bout de phrase avec lequel tu termines pratiquement chacune de tes conversations: «Amusez-vous bien!» Maintenant que je l’ai assimilé à force de travailler à tes côtés, c’est à mon tour de te le dire: Amuse-toi bien! Merci pour tout, Laurent! (Eric Parazelli)