Momus : Dandy Warhol
Musique

Momus : Dandy Warhol

«Andy Warhol disait que tout le monde, un jour ou l’autre, allait être célèbre pendant quinze minutes. Je crois plutôt qu’à l’avenir, tout le monde sera célèbre pour quinze personnes.» En bon dandy intello de la musique pop, Nick Currie, alias Momus, adore ce genre de déclarations chargées de références culturelles. Et cette réflexion sur la notion de célébrité, il l’a poussée à son paroxysme sur son dernier album, Stars Forever. Pour la modique somme de mille dollars chacune, Currie offrait à trente personnes la possibilité d’être immortalisées en chanson pour l’éternité. À partir de photos et d’un texte de mille mots, le chanteur a ainsi tracé des portraits musicaux, pas toujours flatteurs, de fans et d’amis. «Je suis un vampire qui se nourrit de la vie des autres!», rigole Currie. Par cette entreprise anthropophage, des inconnus comme Steven Zeeland, un gai obsédé par les militaires, Kokoro Hirai, une jeune Japonaise accro au chocolat et Noah Brill, un garçonnet de trois ans qui adore les sushis, sont aujourd’hui des ouvres d’art, pour le plus grand plaisir de leur entourage. Certains participants, comme l’artiste Jeff Coons et le réputé D.J. nippon Keigo Oyamada (Cornelius) avaient déjà atteint la célébrité sans l’aide de Momus, alors que quelques clients «corporatifs» (compagnies de disques, magasins, agences de relations de presse) ont tout simplement acheté des jingles.

L’artiste écossais, qui a fait paraître une douzaine d’albums depuis 1986, se sentait-il vraiment à court d’idées personnelles, comme il l’a déjà affirmé? «C’était peut-être un peu fort comme affirmation, car je ne crois pas qu’on puisse un jour épuiser tous les sujets qui dorment au fond de nous, mais il y a toujours le risque de devenir comme Morrissey, un type complètement centré sur ses petits problèmes. Et puis j’aimais bien l’idée, très dix-huitième siècle, de créer des ouvres de commande; plus près de nous, Warhol l’a fait abondamment.»

Parler à Nick Currie, c’est s’embarquer pour une promenade dans les montagnes russes du relativisme culturel. À ses yeux, il n’y a aucune contradiction à parler de musique pop, de distanciation brechtienne et de shopping dans la même phrase. De la même façon, dans ses chansons, il cite Bataille, Milton et Céline, singe Plastic Bertrand et la musique baroque, ou transpose du folklore écossais sur des claviers analogiques cheapo. Avec de telles dispositions, pas étonnant que Momus entretienne des liens étroits avec la très éclatée scène musicale nippone de Shibuya-kei, dont l’une des figures emblématiques, Kahimi Karie, fait aussi partie du spectacle de cette semaine. Avec son filet de voix qui ferait passer Birkin pour Maria Callas et une propension au zapping qui l’a amenée à collaborer avec des gens aussi différents et marginaux que Katerine et Olivia Tremor Control, Karie, qui habite Paris depuis plusieurs années, est devenue une véritable star dans son Japon natal. «Kahimi a une approche de la musique pop très japonaise, qui s’apparente au shopping, affirme Currie. Elle saute d’un genre à l’autre et choisit à travers le monde des gens qui l’intéressent et leur demande des chansons. Certaines personnes trouvent que c’est une démarche anti-artistique, mais moi je la trouve très créative. Nous vivons à une époque où les artistes sont en train de devenir des curateurs, qui sélectionnent et réorganisent des éléments culturels d’époques et de lieux différents . Nous sommes à la fois archivistes et artistes; j’appelle ça des arkistes.»

Mais comment se fait-il que ce grand efflanqué écossais, largement trentenaire, se sente aussi proche des préoccupations de la jeunesse «tokyoïte»? «Ça a quelque chose à voir avec mon éducation, je crois. J’ai passé ma jeunesse à l’internat, et c’est la discipline omniprésente qui rendait la liberté dont je jouissais pendant les vacances si formidable. La jeunesse japonaise se trouve coincée entre deux régimes très oppressants, celui de l’école et celui du travail. Entre les deux, il y a une période d’environ cinq ans, durant laquelle les jeunes consomment de la culture comme des fous et mènent une vie de bohème subventionnée par leurs parents; mais c’est une drôle de liberté, teintée de la crainte de l’entrée dans le vrai monde. Cette angoisse amène souvent une formidable explosion créatrice dont je me sens très proche.»

Cette fascination pour le butinage culturel explique peut-être pourquoi Momus a accepté de collaborer au prochain album d’une autre bande de spécialistes du collage et des transgressions de genres, les Montréalais de Bran Van 3000. Currie, qui n’est pas du genre à refuser un défi, a sauté sur l’occasion, délaissant son personnage d’intello pop au profit de son alter ego de toujours, le tendre pervers. «C’est un morceau reggae-rap plein de doubles sens et de connotations sexuelles, explique-t-il. J’adore ce genre de trucs: c’est ma façon de me détacher de mon côté plus cérébral. Plutôt que de prendre de la drogue, je passe du mode cerveau au mode pénis.» L’histoire ne dit pas si un fan a payé pour être le sujet de la chanson, mais sachez que lors du spectacle, pour la modique somme de dix dollars, Momus improvisera une chanson à partir de votre nom. C’est bien peu cher pour s’offrir un petit morceau d’immortalité.

Avec Toog 6633 et Kahimi Karie
Le 25 novembre
Au Jailhouse
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