Luke Slater : L'espion qui mixait
Musique

Luke Slater : L’espion qui mixait

Auteur du récent Wireless, l’un des disques electronica les plus punchés des derniers mois, Luke Slater vient faire tourner les platines à Montréal. À quand un set live?

Les productions 514 peuvent se vanter d’avoir fait un beau coup en invitant Luke Slater à officier comme D.J. au Sona pour la dernière soirée Silver Fridays du millénaire, elles offrent aux fans de techno montréalais l’occasion de finir l’année avec la crème de la crème. Considéré comme l’un des chefs de file de l’electronica britannique, Slater a été l’un des pionniers du son de Detroit en terre d’Albion. De ses débuts comme D.J. house à la fin des années quatre-vingt aux explorations hip-hop, breakbeat et big-beat de ses dernières productions, il a toujours poursuivi son incessante quête du rythme absolu.

Avec ses deux derniers albums, Freek Funk en 1997 et Wireless cette année, Slater a prouvé que l’on pouvait façonner le beat de façon intelligente et imprévisible sur toute la durée d’un long-jeu. Wireless, justement qualifié de «breakbeat space odyssey» par le magazine Urb, est en effet un hallucinant voyage spatial aux airs de montagnes russes rythmiques. «Mon collaborateur Alan Sage et moi sommes d’abord et avant tout des batteurs; et nous travaillons toujours à la recherche du beat parfait», explique Slater, joint dans les bureaux de sa compagnie de disques (Mute) à Londres. Dans un monde où la majorité des vedettes n’ont jamais touché à un «véritable» instrument, le fait d’avoir été batteur donne-t-il à Slater une approche particulière? «Je ne sais pas si cela influence ma façon de faire de la musique aujourd’hui, mais je peux dire que le rythme en a toujours été l’élément central: si tu arrives à cerner cet élément de la musique, tout le reste suit…»

Habile adepte du collage, Slater n’hésite pas à emprunter au passé pour concocter sa mouture particulière. On y retrouve des sonorités électro qui remontent à Kraftwerk, des riffs qui ressemblent à du New Order sur les amphétamines, et beaucoup de rythmes hip-hop mâtinés de techno, qui rappellent Afrika Bambaataa. On ne joue pourtant jamais la carte du rétro et toutes ces citations ne servent qu’à étoffer un son résolument moderne. Et si Wireless compte quelques morceaux de big beat capables de battre les Chemical Brothers et Fatboy Slim à leur propre jeu, il ne faudrait pas croire que c’est par opportunisme. Pour Slater, tous les moyens sont bons pour trouver le son idéal. «Tout l’album a été fait avec des échantillonneurs et des ordinateurs, mes instruments principaux de création, explique Luke. L’un de nos ordinateurs était branché en permanence sur Internet à la recherche de fichiers sonores susceptibles de nous intéresser. Sur Internet, des tas de gens qui ne font pas de musique mais s’intéressent de près à la manipulation sonore; en allant piger dans cette immense banque de sons, c’est comme si on jouait sur un synthé martien! Plutôt que d’êtres confinés à notre studio, on avait accès à des bruits en provenance du monde entier. Pour moi, Internet est le synthétiseur du futur.»

Mais malgré les nombreux objets high-tech qui ont servi à sa confection, Wireless est d’abord inspiré d’une technologie plus ancienne. «C’est vrai; l’idée de base de Wireless, c’était d’utiliser un maximum de sons provenant d’une radio à ondes moyennes, et presque toutes les voix qu’on y entend proviennent de là, explique Slater. J’aime leur son très cru.»

Ce côté un peu cru et vieillot, on le retrouve aussi sur la pochette, sorte d’hommage aux films d’espionnage des années soixante-dix. «Je suis un grand fan de cinéma, confirme Luke. Et comme l’album traite essentiellement de surveillance électronique, durant l’enregistrement, j’ai revu le film The Conversation, de Coppola, l’un de mes films préférés de tous les temps. Dans le film, le personnage de Gene Hackman est un spécialiste de l’écoute électronique et ça collait parfaitement au thème.»

Slater a saisi l’occasion pour se faire un petit cinéma personnel, apparaissant sur la pochette dans la peau d’un espion au visage amoché à la suite d’une recontre avec un rival (qui, de manière assez tordue, n’est nul autre que Slater lui-même). D’où vient cette propension à l’automutilation? «J’aime bien faire semblant; tu sais, c’est comme quand tu es enfant et que tu joues à mourir. À douze ans, tu n’a aucun sens moral et c’est follement amusant. J’avais une imagination très cinématographique quand j’étais petit: mon activité préférée était de faire semblant de recevoir une balle en pleine poitrine en haut de l’escalier, histoire de faire une chute dramatique.»

Le 10 décembre
Au Sona
Voir calendrier D.J.