Loudon Wainwright III : Oedipe trois
Musique

Loudon Wainwright III : Oedipe trois

Loudon Wainwright est toujours d’actualité, littéralement dans le cas de son plus récent album, Social Studies, qui rassemble dix années de commentaires sociaux en chansons. Ces petites pièces traitent d’événements tirés directement des manchettes des journaux, avec humour et ironie, mais surtout avec une bonne dose de finesse.

On vous a souvent parlé de lui au cours des dernières années, mais pour sa progéniture plus que pour son oeuvre. Pourtant, Loudon Wainwright III a un pedigree digne de mention, que même les récents succès de ses enfants, Martha et Rufus, ne sauraient éclipser. Avec dix-sept albums à son actif, deux nominations aux Grammys, et un rôle dans la mythique série M.A.S.H., entre autres exploits, le musicien américain a de quoi être fier. Mais le chanteur folk emblématique des années soixante-dix a-t-il encore sa place en l’an 2000? Loudon Wainwright est toujours d’actualité, littéralement dans le cas de son plus récent album, Social Studies, qui rassemble dix années de commentaires sociaux en chansons. Écrites à la demande de la National Public Radio, ces petites pièces traitent d’événements tirés directement des manchettes des journaux, avec humour et ironie, mais surtout avec une bonne dose de finesse. De la violente rivalité entre les patineuses Tonya Harding et Nancy Kerrigan au délire médiatique qui a entouré l’affaire O.J. Simpson, Social Studies est une véritable collection d’instantanés illustrant une fin de siècle malade.

«Bien sûr, certains sujets peuvent sembler très temporels, mais comme l’histoire a la mauvaise habitude de radoter, ils demeurent d’actualité. Disons que les current events deviennent des recurrent events.» Prenez la pièce Jesse Don’t Like It, par exemple, écrite il y a quelques années pour le sénateur Jesse Helms, opposant notoire au financement public des arts et grand amateur de censure. Remplacez son nom par celui de Rudolph Giuliani, qui s’est récemment énervé contre l’exposition Sensation au musée de Brooklyn, et, bingo, vous avez une chanson criante d’actualité. «C’est l’exemple parfait, puisque c’est exactement la substitution que j’ai faite lors de mes récents spectacles, confirme Loudon. Je peux aussi changer les noms selon les pays; au fond, ce sont souvent des problèmes à portée universelle.»

Mais la caractéristique commune à presque toutes les chansons de Wainwright, c’est l’humour: qu’il déboulonne le mythe du père Noël sur Conspiracies, ou qu’il ridiculise le président américain sur Our Man Bill, c’est toujours avec un sourire en coin. «Je voulais que ces chansons aient un côté divertissant, explique Wainwright. Je me suis toujours servi de l’humour pour attirer le spectateur; je crois que ça permet malgré tout de faire passer un message sérieux, du moins, je l’espère.»

Pourtant, il semble que certains sujets de Social Studies ne prêtaient pas à la rigolade. À la toute fin de l’album, la très belle Pretty Good Day évoque, avec beaucoup de délicatesse, une journée de trêve dans les bombardements à Sarajevo. En écoutant le narrateur de la chanson s’étonner de voir de l’eau chaude sortir de son robinet, ou des feuilles pousser aux arbres, toutes les pièces qui l’ont précédée semblent presque ridicules. «Je trouvais ça logique de terminer l’album avec cette chanson, explique Loudon. Tu as peut-être raison; malgré leur fond sérieux, les autres sujets peuvent sembler insignifiants en comparaison, ce qui explique sûrement pourquoi je n’ai pas pu écrire une chanson comique sur les horreurs de la guerre en Bosnie. J’imagine qu’on peut faire des trucs drôles sur le génocide, comme Mel Brooks l’a fait avec Springtime for Hitler, mais pourquoi? »

Chose certaine, Social Studies est un jalon atypique dans l’oeuvre de Wainwright, dont les chansons sont généralement complètement autobiographiques, parfois de manière presque indécente. «J’ai en effet écrit des choses très personnelles dans mes chansons. Mes enfants, mes amis et mes parents sont les gens les plus près de moi et j’ai toujours trouvé normal de parler d’eux. J’ai écrit une chanson, Hitting You, qui traite d’un incident que vivent beaucoup de parents; un jour, tu t’énerves et tu fous une claque à ton enfant. Ce texte parle d’un tel événement, que j’ai vécu avec Martha quand elle était petite; je lui ai donc fait entendre la chanson et elle m’a donné le feu vert. Son opinion m’importait beaucoup; mais si elle avait dit non, je ne sais pas ce que j’aurais fait!»

Wainwright a souvent évoqué sa relation avec ses enfants, notamment depuis que ceux-ci ont commencé à faire carrière dans la chanson. Avec une pointe d’envie et d’autodérision, il a déjà écrit, à propos de Rufus: «You’re starting up and I’m winding down» (Tu débutes alors que je m’essouffle). Existe-t-il une rivalité père-fils? «Oui, il y a une certaine compétition; mais tous ces trucs oedipiens sont tout à fait naturels. Je ne le nie pas, ça fait tout simplement partie du jeu lorsque plusieurs membres de ta famille travaillent dans le même milieu.»

Mais la famille musicale de Wainwright s’étend au-delà des liens du sang. À preuve, Jesse Winchester, qui partagera l’affiche avec lui lors de son concert montréalais, est un ami de longue date. Américain établi au Québec depuis la fin des années soixante, Winchester était, comme Wainwright, un draft dodger. «Je trouve qu’il a eu beaucoup de courage, puisqu’il a dû se réinstaller dans un nouveau pays. Moi, j’ai évité la Viêt Nam à ma manière: j’ai été réformé pour des raisons psychiatriques. On m’a donné l’étiquette 1Y, qui désigne les sociopathes!» Et aujourd’hui, vit-il encore avec le poids de ce diagnostic? «Je pense que c’est assez évident dans ma musique que j’ai encore quelques tendances sociopathes, non?»

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