Blue Rodeo : Paire spirituelle
Musique

Blue Rodeo : Paire spirituelle

Au moment même où la formation canadienne lance un nouvel album, elle nous fait l’honneur de nous visiter pour deux concerts. Entretien avec GREG KEELOR, la face sombre de Blue  Rodeo.

C’est devenu une habitude, bon an, mal an, Blue Rodeo revient faire son pèlerinage en nos terres, attirant avec lui sa horde de disciples au temple de la rue Saint-Denis. Et, année après année, ils sont toujours aussi nombreux à vouloir communier avec les deux grands patrons du groupe: Jim Cuddy et Greg Keelor, deux êtres profondément différents, voire à l’opposé l’un de l’autre; à tel point qu’on se demande chaque fois quelle est leur recette pour se supporter mutuellement. L’amour universel, sans aucun doute…

Cuddy et Keelor, c’est le yin et le yang. Le premier mord dans la vie, large sourire imprimé au visage; le second promène sa charpente déglinguée avec des airs de chien battu. L’un semble insouciant et invulnérable; l’autre, tourmenté et abattu. Le portrait ne nous a jamais semblé si évident que depuis que les deux ont fait paraître leur album solo: celui de Keelor intime et presque incantatoire; celui de Cuddy «almost a Blue Rodeo album», comme me l’a si bien décrit Greg Keelor. Tout au long du processus de la demande d’entrevue, c’est avec Jim Cuddy qu’on devait discuter; mais, à cinq minutes d’avis, c’est finalement son ténébreux acolyte qu’on nous a proposé. Changement de cap. Changement de ton. Une bien bonne chose finalement quand on considère que le dernier compact de Blue Rodeo n’est pas vraiment l’équivalent de celui des Vengaboys, en matière de party album… Sombre comme l’autoroute 15, au sortir de Saint-Jérôme.

Le dernier-né du groupe torontois s’intitule The Days in Between. C’est aussi le titre d’une chanson où l’on retrouve dans le refrain «Yeah I was happy for awhile, But then everything started falling apart»… Elle est, bien sûr, signée Greg Keelor: «Depuis toujours, mon moteur créatif a fonctionné à la mélancolie et à la tristesse, admet Keelor. Mais cette tristesse m’amène vers une profondeur émotionnelle que je trouve enrichissante; et, pour être très honnête, ce sont là des sentiments avec lesquels je suis très à l’aise. Je ne dirai pas que je cherche à être triste pour favoriser ma création, ce serait une idée pour le moins angoissante; mais je considère qu’on a tous assez de tristesse dans nos vies pour écrire à partir de ces expériences.»

Cela dit, le Greg Keelor d’aujourd’hui semble plus serein que celui rencontré il y a trois ans pour la promotion de son disque solo. À cette époque, le pauvre Greg semblait avoir vieilli de trente ans, un brin désillusionné, lent, et perdu dans un bouillonnement de pensées dont nous étions évidemment exclus. Dans sa bulle: «Cette période a duré cinq ans, et j’ai eu l’impression que tout explosait dans ma vie. J’ai découvert ma mère, je suis allé en Inde, j’ai eu une couple de très mauvais accidents; mais j’étais heureux. Le genre de période où t’as tellement l’impression de changer que tu te dis que tu ne seras plus jamais le même. Au bout du compte, quand tout rentre dans l’ordre, tu réalises que t’es encore la même foutue personne…»

La même foutue personne donc, qui cosigne encore une fois les textes et les musiques du huitième album de Blue Rodeo. Un disque qui, aux premières écoutes à tout le moins, renferme les mêmes ingrédients d’une recette éprouvée. Beaucoup de ballades orientées autour de la séparation, quelques pièces mid-tempo, deux chansons aux rythmiques plus enlevées; et toujours cette alternance de chanteur entre Jim et Greg. Du pur Blue Rodeo, assez loin de leur psychédélique Nowhere to Here. Tellement pur, en fait, qu’on se demande parfois si la formation ne s’assoit pas sur certains automatismes inéluctables après tant d’années passées ensemble: «Jim et moi avons été dans les mêmes groupes depuis 1978. Et avant cette date, nous faisions de la musique ensemble dans nos salons. Ce que vous entendez est ce que nous faisons depuis tellement longtemps. Vient un temps où nous devons simplement accepter ce que nous sommes dans la vie. Accepter nos rôles. Finalement, on est deux gars interprétant leurs chansons soir après soir, sans trop d’artifices, et le plus honnêtement possible. Nous sommes qui nous sommes, alors forcément certaines choses peuvent finir par se ressembler. T’auras beau essayer, tu ne peux pas échapper à ce que tu es. Et quand tu observes mes textes du dernier disque, tu réalises qu’ils traitent souvent des mêmes préoccupations qu’on retrouvait sur mon compact solo. C’est normal.»

C’est normal, et ça ne nous empêchera surtout pas d’aller réentendre Blue Rodeo pour la quinzième fois. Parce que Cuddy et Keelor ont beau se répéter un brin, ils restent de véritables joailliers de la chanson. Et puis, depuis quand se prive-t-on de goûter à Diamond Mine ou à Bad Timing en direct…

Les 21 et 22 janvier
Avec The Withlams en première partie
Au Théâtre Saint-Denis
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