Amon Tobin : Manipulation frénétique
Musique

Amon Tobin : Manipulation frénétique

Véritable visionnaire et alchimiste musical des plus respectés, le Britannique d’origine brésilienne AMON TOBIN se ramène à Montréal, l’une des premières villes à avoir su apprécier sa musique et qui a même influencé l’élaboration de son troisième album.

C’est avec quelques semaines d’avance sur la sortie en magasin qu’Amon Tobin, véritable chouchou du public montréalais, nous présentera son nouvel album Supermodified. En effet, si le disque succédant à Permutation (1998) et à Bricolage (97) ne sera en vente qu’à partir du 16 mai, il nous sera toutefois possible d’en entendre quelques extraits choisis lors de la performance D.J. que Tobin donnera en compagnie de Kid Koala et Bullfrog, le 3 mai, au Club Soda.
Après quelques écoutes furtives et privilégiées, on peut déjà affirmer que le Ninja de Brighton, en Angleterre, continue de très belle façon sa démarche de visonnaire de l’ère numérique. On pourrait qualifier Supermodified de plus pictural, plus mélodique, apparemment moins jazz et percussif, mais il n’y a rien comme de demander l’avis du principal intéressé: «L’idée générale de cet album, répond l’homme joint à son domicile-studio, était de passer d’un genre à l’autre tout en manipulant les sons de façon à les éloigner de leurs origines et de leurs fonctions premières. Ce qui fait que, cette fois, j’ai travaillé davantage les sons en tant que tels. Je leur ai fait subir différentes mutations de sorte que, par exemple, des sons de cuivres se tranforment en ligne de basse. Mais les influences jazz et même brésiliennes sont toujours là, cependant j’ai voulu qu’elles soient plus subtiles, moins facilement reconnaissables.»
Pour le bénéfice de ceux et celles qui auraient manqué les épisodes précédents, il faut rappeler que la musique d’Amon Tobin – dense, riche et fourmillants de trouvailles sonores – est fabriquée presque exclusivement d’échantillonnages de vinyles. Mais, loin de n’être qu’un travail du type «couper-coller», le processus de création, qui mène à ces morceaux que l’on peut qualifier de monumentaux, est en fait guidé par un souci constant de découverte, d’amalgame et de juxtaposition hors norme. Avec le résultat que Tobin est encensé par les uns pour sa démarche singulière et son refus des conventions; et incompris par ls autres qui le taxent d’intellectualisme. Ce qui ne semble pas vraiment le tourmenter: «Si des gens veulent intellectualiser ma musique et en retirent un certain plaisir, je n’ai aucun problème avec ça. Parfois les gens vont interpréter sa complexité apparente et le côté chargé des arrangements comme s’il s’agissait d’une recherche très profonde, alors que ce n’est qu’une sorte d’enthousiasme maniaque qui me porte à créer de la sorte et à tout peaufiner à l’extrême. Mais cette énergie relève davantage du plaisir pur que de l’expérience scientifique ou intellectuelle.»
Plus tard dans la conversation, Amon avouera que le public montréalais semble particulièrement disposé à apprécier sa musique. Et, lorsqu’on regarde les crédits à l’intérieur du livret, on repère très vite que l’unique collaboration extérieure est attribuée à Lateef Martin, alias Quadraceptor (as montréalais des percussions vocales); et qu’un remerciement est adressé à la boutique de disques Disquivel du boulevard Saint-Laurent. «Je trouvais ça cool de mentionner les boutiques de disques qui m’ont permis de trouver les sons avec lesquels j’ai construit cet album. Tous les déplacements que j’ai dû effectuer pour mes tournées, ces deux dernières années, m’ont donné la possibilité de dénicher plein de trucs que je n’aurais pas trouvés si j’étais resté chez moi à Brighton. Cette étape où les tournées deviennent en même temps des moments de repérage sonore fait désormais partie de mon processus de création. Quant à l’apport de Lateef à la pièce Precursor, je crois qu’il s’agit de l’échantillonnage le plus particulier sur l’album. Elle me fait penser au Farting Song de South Park! J’ai rencontré Lateef durant l’un de mes voyages à Montréal. Pendant un show, il est venu faire du human beatbox et j’ai été renversé par son talent. C’était tellement inhabituel comme forme de percussion vocale que je lui ai demandé de collaborer avec moi. On a enregistré sa partie dans le studio de Haig V., à Montréal, et j’ai rapporté le DAT chez moi pour teter quelques expériences bizarres en passant le tout à travers de multiples effets.»
Si Amon Tobin ne se considère pas comme un excellent technicien des platines, il reste néanmoins qu’à chacune de ses présences dans la métropole, il a réussi à jeter sur le cul autant les adeptes de musique électronique plus expérimentale que les amateurs de jazz innovateur. Une musique indansable la plupart du temps, mais toujours extrêmement dynamique et qui ne laisse pas beaucoup de répit. De quoi comprendre la loyauté de ses fans qui, comme lui, préfèrent la créativité et la longévité à la célébrité.y

Avec Kid Koala et Bullfrog
Le 3 mai
Au Club Soda
Voir calendrier D.J.