WD-40 : Légendes urbaines
Musique

WD-40 : Légendes urbaines

"Malgré les boires et les déboires, les échecs, les refus, les frustrations, les multiples bands pop, rap, fifs, poches qui nous ont supplantés, oui, WD-40 persiste et signe un quatrième album." – Alex Jones, chanteur et  bassiste

"Fait que là, là, on va avoir notre photo pis notre nom en gros sur la couverture?" Le magnétophone venait à peine d’être enclenché qu’Alex Jones allait aux choses essentielles. Après tout, il ne s’était certainement pas donné le mal d’enregistrer l’étonnant Fantastik Strapagosse (vous avez bien lu) pour périr dans l’indifférence générale. D’autant que Jones et ses deux comparses (son frère, le guitariste Jean-Loup Lebrun et le batteur Jules 40) ont connu une carrière pour le moins surprenante, qui les a menés de la Californie à Montmartre, en passant par Sherbrooke, et qui est résumée sur ce quatrième album en forme d’anthologie. Tout ce qui fait l’identité du WD-40 d’hier et d’aujourd’hui y est décliné en musique et intermèdes sonores en tout genre: du punk au country, en passant par le jazz et le gros rock sale, c’est une belle palette. Pour lier la sauce, on a ajouté quelques délires éthyliques, de bonnes blagues grivoises et de sombres questionnements existentiels; des excès, des groupies droguées, des menaces de séparation. Bref, les éléments nécessaires à tout groupe de rock qui aspire au statut de légende vivante.

Fantastik Strapagosse, c’est le point culminant d’une carrière érigée dans la sueur et le sang, et une fantastique vengeance contre les mauvaises langues qui vouaient ce petit band de garage aux gémonies. En d’autres mots, c’est un triomphe, tout underground soit-il.

Mais les choses n’ont pas toujours été si roses pour WD-40, qui, avant de connaître les feux de la rampe, a rampé dans les bas-fonds fangeux de l’anonymat. Voici donc l’histoire d’un fabuleux groupe de Bleuets qui faillit, entre deux brosses, conquérir le monde dans son fidèle camion…

Drinking in Chicoutimi
Dès leurs débuts, on a voulu faire de WD-40 un groupe régional, en raison des origines saguenéennes de son leader, qui a souvent mis en chanson les aléas de la vie en province avec des paroles assassines comme "Icitte y a pas grand-chose à faire, pis le faire à jeun, ben c’est platte en calvaire!". Si Alex Jones se plaît à entretenir bien des mythes, en voilà un qu’il n’hésite pas à déboulonner de quelques violents coups de wrench: "Les gens s’imaginent toutes sortes de choses sur nous, dont cette espèce de mythe sur le Saguenay. La vérité, c’est qu’on n’a pratiquement jamais joué là-bas. WD-40 n’a pas été créé à Chicoutimi; je dirais même que j’ai presque toujours été traité comme d’la marde dans mon coin. Il a fallu qu’on se mette à parler de nous à Montréal pour intéresser les gens de chez nous, pis même aujourd’hui, on a tellement mauvaise réputation qu’on ne peut jouer nulle part; tout ça à cause d’un show où je me serais supposément mis à poil."

N’empêche, les Saguenéens ne détestent pas tous Alex et sa bande. À preuve: dès 1996, ils se faisaient agresser par des chasseurs d’autographes dans leur patelin natal, du moins si l’on en croit cette histoire relatée dans la pochette de Fantastik Strapagosse.

Mais revenons à l’époque pré-WD-40: se sentant mal-aimés et incompris dans leur Chicoutimi natal, les frères Jones se sont exilés dès qu’ils l’ont pu ("Y avait tellement rien à faire que dès que j’ai eu 18 ans, j’ai sacré mon camp", confirme Jean-Loup), gagnant la métropole, où ils espéraient faire fortune dans le merveilleux monde du rock’n’roll. "Je suis arrivé à Montréal en 1992, pis j’ai joué dans les groupes 84-78 et Raymond Sauvage, qui ont floppé tous les deux, relate Alex. Vers 1994, j’ai lancé WD-40 pour le fun, même si, dans le fond, ce que j’espérais vraiment, c’était de devenir une vedette de rock, jamais avoir à travailler, et recevoir assez de redevances de la SOCAN pour rester chez nous à me pogner le cul."

Le groupe, au gré des changements de personnel, enregistre quelques cassettes-démos, dont la classique Né pour être sauvage (sur laquelle figure Jocelyn Cano, aujourd’hui présentateur à Musimax, à la batterie); puis commence à travailler, entre deux participations à des concours, sur des albums. À l’époque de Crampe en masse, on les qualifie de country-trash-garage; puis, lorsque paraît Aux frontières de l’asphalte, en 1999, la production se raffine et les influences country se font de plus en plus présentes. WD-40 se sent prêt à passer à la vitesse supérieure. "On aurait ben aimé aller jouer en Europe après la parution d’Aux frontières de l’asphalte; mais on se frappait encore aux mêmes problèmes, explique Alex. On se faisait dire qu’on n’était pas assez western pour être western; pas assez chanson pour être chanson; pis pas assez punk pour être punk. Ça m’a toujours fait chier, ces histoires de format!" Outsider un jour…

À la croisée des chemins
Après avoir signé ce qui était jusqu’alors son meilleur disque, WD-40 a connu un passage à vide. "Les choses allaient bien: j’ai gagné le prix d’artiste pop de l’année au gala des MIMI; puis après, plus rien. Ma blonde était en Chine, pis elle voulait plus revenir; on devait faire des vidéos qui n’ont jamais vu le jour, et l’album ne se vendait pas aussi bien qu’on l’aurait voulu. C’est clair que cette période sombre a influencé l’écriture de Fantastik Strapagosse. Aujourd’hui, même si le groupe donne presque l’impression d’avoir un pied sur scène et l’autre dans la tombe, les membres de WD-40 n’ont pas encore mis la clé sous la porte de cet "infâme et ridicule projet" qui est le leur. Entre dévouement et désespoir, Alex chante: "Donne-moi une chance, je trouve pus ça drôle / Entre le vide et le fantastique / J’m’accroche encore, mais j’ai les bras morts…" On pourrait vous dire qu’Alex a composé cette chanson pour sa blonde dans un moment de désespoir (ce qui est vrai), mais on préfère voir, dans ces quelques lignes, une réflexion sur le difficile métier de rocker au Québec. Pour Alex, Jean-Loup et Jules, WD-40 est à la fois une source de vie et une malédiction. Véritable Sisyphe du rock, le groupe est condamné à rouler sa grosse pierre jour après jour, pour la voir retomber dès qu’il croit avoir atteint le sommet.

"C’est vraiment tough de faire du rock au Québec, pis ça l’est encore plus pour nous, lance Jean-Loup. Après sept ans, on a encore mauvaise réputation, même auprès des autres musiciens avec qui on partage parfois la scène. Ils nous prennent pour des clowns mais après nous avoir entendus live, ils viennent nous voir pour nous dire: "O.K., vous savez jouer de vos instruments!" Si tu savais le nombre de personnes qui pensent qu’on est des vrais mongols!"

"Faut dire qu’on a fait ben des shows tout croches, intervient Alex. On a joué ben saouls, ou ben gelés sur l’acide: ce qui a quand même contribué à notre mauvaise réputation…"

"Oui, mais depuis une couple d’années, on fait plus attention, pis on donne des maudits bons spectacles", poursuit Jean-Loup.

Vrai que ces dernières années, les trois ours mal léchés ont franchi quelques étapes vers la respectabilité, notamment par cette participation à l’émission Les Décrocheurs d’étoiles, à la Première Chaîne de Radio-Canada (quelques pièces de Fantastik Strapagosse en témoignent); puis grâce à une apparition au Off Festival de Jazz de cette année, qui a aussi laissé des traces sur l’album. "Je m’intéresse de plus en plus au jazz, explique Jean-Loup. Ça pourrait être une avenue intéressante si le groupe se séparait."

Bien que ce soit un disque essentiellement rock, Fantastik Strapagosse témoigne de cette nouvelle ouverture musicale. Entre Je reviens de l’Est, pseudo-country dont le riff de guitare rythmique a été calqué (presque note pour note) sur le C’est comme ça des Rita Mitsouko et le rock stoogien de Mourir la face dans slush, on retrouve un clin d’oeil aux Échevelés, le groupe de jazz au sein duquel Alex a fait ses débuts au Café chrétien de Chicoutimi (véridique!). Quant à la pièce-titre, un rock furieux qui n’est pas sans rappeler le Jon Spencer Blues Explosion, elle serait l’unique témoignage d’un passage en Californie aux côtés du célèbre réalisateur Duane Ericsson, dont Jean-Loup dira qu’il lui a "tout appris". On trouve même un morceau aux prétentions post-rock (Alex affirme qu’un concert à l’Hotel 2 tango en compagnie du groupe Exhaust, bien qu’il n’ait pas laissé de souvenirs indélébiles chez lui, en est l’inspiration) et une pièce aussi minimaliste qu’agressive intitulée Un gramme de mort. "Je suis vraiment fier de cette toune-là, affirme Alex. J’ai réussi à aller au summum du primitif en faisant une chanson avec un seul accord!" Bref, c’est toute la vie de WD-40 qui se trouve compilée sur ce disque. Dire que certaines mauvaises langues affirment déjà que ce futur classique aurait en fait été enregistré en quelques jours, en compagnie du réalisateur Éric Goulet, dans le sous-sol d’un bungalow lavallois!

"On n’a jamais vendu plus de 2000 copies d’un album; mais celui-là, je veux en vendre au moins 4500, sinon je tire la plogue, conclut Alex. C’est ben beau de se battre tout le temps, mais à un moment donné, tu finis par te dire: "Ben qu’ils mangent donc d’l’a marde!"" Rassurez-vous, Alex n’en pense rien. En fait, il n’a qu’un seul regret par rapport à ce nouveau disque: "Oui, il manque un truc sur la pochette. On aurait dû y inscrire "Play it ben stone"." Vous voilà avertis…

Ndlr: Certains faits relatés ici relèvent de la pure fiction, alors que d’autres ne font qu’effleurer la surface de la vérité. À vous, amis lecteurs, de séparer le vrai du faux.

Le 2 novembre
Au Cabaret
Voir calendrier Rock et Pop


WD-40
Fantastik Strapagosse
(La Tribu/Dep)
"Entre le vide et le fantastique" résume à merveille l’impressionnant répertoire du trio du Lac. Toujours à cheval entre la chevauchée merveilleuse et la proximité de l’abîme, voilà que pour son quatrième disque (sans compter les multiples cassettes-démos), WD-40 se la joue anthologique, revisitant les chemins déjà empruntés, peaufinant un univers des plus singuliers et défrichant de nouvelles avenues. Plus proche du côté sombre de Crampe en masse, délaissant les influences country d’Aux frontières de l’asphalte (sauf sur Je reviens de l’Est, hit potentiel) et se gargarisant de jazz et d’interludes musicaux qui servent de liants à ces divers éléments, Fantastik Strapagosse peut déstabiliser à la première écoute. De toute évidence, on a affaire à un album de transition, qui jette un dernier regard sur une époque nourrie à l’énergie brute et qui tente d’emprunter l’étroit chemin de la reconnaissance en peaufinant les textes, en enrichissant l’enrobage sonore et en repoussant ses propres limites. Avec Éric Goulet (Les Chiens) derrière la console huit pistes et l’archet diabolique de Mara Tremblay sur quelques pièces, Fantastik Strapagosse se démarque de ses prédécesseurs par une réelle réflexion ayant débouché sur des horizons nouveaux. Et cette fois, qu’il joue le crooner des bois ou l’autodestructeur urbain, Alex Jones prouve qu’il est un interprète d’une véracité et d’une intensité que peu ont atteintes. Bien sûr, la vulgarité a encore sa place (Chérie tu fourres mieux quand t’es stone), la débauche est toujours au premier plan (Gramme de mort, Caisse de douze), mais en écoutant Immortel 1 et 2, on se surprend à frissonner d’une nouvelle façon, signe que WD-40 a encore bien des choses à dire. (Eric Parazelli) 4 étoiles