Philippe B. : Bricoleur de grands espaces
Musique

Philippe B. : Bricoleur de grands espaces

Gwenwed au repos, Philippe B. a bricolé un premier album solo dans lequel sont à l’honneur les guitares folk, une sensibilité pop pour des airs accrocheurs et un sacré talent de raconteur d’histoires américaines dans la langue de Renaud.

Philippe Bergeron a de la chance, il arrive à un moment où, depuis quelques années, la chanson québécoise a le vent dans les voiles. Mara Tremblay est en état de grâce, Monsieur Mono accouche d’un superbe opus solo, Thomas Hellman vient de sortir une bombe qui racle la terre et les émotions. Quant à Pierre Lapointe, il ne cesse de grimper; ça tombe bien, car Philippe est son guitariste attitré. Lapointe est devenu le fan nº 1 des chansons de Philippe et l’a encouragé à mener son projet à terme. Ce qu’il a fait, en solitaire avec sa guitare et son ordinateur, avant d’inviter quelques amis musiciens: "J’ai toujours cru à l’art pour l’art, et si je dis "je", ce n’est pas nécessairement de moi qu’il s’agit". La superbe pochette le montre, barbu et en costard, assis parmi une pile de 33 tours (Barbara, Genesis), tenant dans sa main un polaroïd de lui-même pris l’instant d’avant: "Cette mise en abyme, la façon dont je suis habillé, c’est pour dire: "Attention! Même si je pars d’une vraie émotion, il y a une distance, c’est un personnage." La vérité se mêle à la spéculation, à l’imagination."

Comme chez Hellman, l’imaginaire de Philippe s’ancre dans notre américanité, une Amérique intemporelle de racines et de routes (qui mènent de son Abitibi natal à Philadelphie, en passant par le Canyon), déclinée en français sur du folk, du country, avec une touche de chanson. Dans cet univers, Calamity Jane refait surface pour évoquer une fille bien réelle. Philippe B. a peut-être appris ceci de ses deux années aux côtés de Pierre Lapointe: le goût du jeu, de la métaphore littéraire. Et l’autodérision, en filigrane dans l’irrésistible Archipels: "On a bu des coolers aux fraises/Pis de la liqueur de melon/Vomir à l’unisson j’en garde un bon souvenir".

De son adolescence abitibienne, Philippe a conservé le goût de la chanson française (Renaud et Brel hier, Benjamin Biolay aujourd’hui) métissée au punk de Bérurier Noir et au rock progressif d’Octobre. Surtout, ses chansons d’aujourd’hui, bien que bricolées dans son appart montréalais, respirent le grand large. Elles ouvrent une large fenêtre vers l’ailleurs, le rêve. Quand il manque d’espace pour créer, il invente, il se débrouille. Ainsi, il ne peut pas se payer des cordes symphoniques: "Je le fais un peu, en trichant: avec du sampling, je me fais une section de cordes avec un violon et une contrebasse. Mais, avec plus de moyens, ça serait un vrai orchestre de chambre: j’aurais écrit des partitions, bidouillées à l’ordi, des vents mélangés à un son pop plus moderne, comme les Beatles ou les Beach Boys, que je réécoute en découvrant des choses surprenantes, déstabilisantes. Ça rejoint la musique alternative que j’aime, parce que ça innove, ça a une personnalité, ce qu’on retrouve aussi dans le pop." L’échantillonnage est essentiel pour lui: "J’aime le sampling pour son côté aléatoire, mettre des choses une par-dessus l’autre pour voir quel effet ça fait. J’ai fait un album hybride, production maison jusqu’aux deux tiers et en studio pour la fin."

Ses yeux s’éclairent, il est volubile et affable, carbure à sa passion musicale. Il a tout pour surprendre et allumer la curiosité chez l’auditeur. Il échantillonne Joni Mitchell mais également de la musique classique, Fauré et Debussy: "J’avais acheté les vinyles. Ce sont des morceaux que j’aime bien, dont je connaissais les textures. Pour Philadelphie, c’était un besoin, je voulais mettre quelque chose derrière. J’ai pensé à Debussy, car ce sont souvent des flashes de couleurs, c’est très impressionniste. Contrairement au baroque où c’est plus fourni, ça bouge beaucoup; c’est dur d’échantillonner ça, car l’harmonie est trop précise, alors que Debussy, c’est plus vaporeux", raconte l’ancien étudiant en jazz. "Pour Joni Mitchell, j’ai téléchargé Woodstock sur Internet, j’ai écouté l’album et lorsque je cherchais un sample pour ma chanson Canyon, qui est très ouverte, avec beaucoup d’espace, je trouvais ça trop épuré, ça prenait de la texture, alors j’ai repensé à Woodstock. Et en plus, ça venait de son disque Ladies of the Canyon!".

Au final, avec de faibles moyens mais un solide talent pour la composition, Philippe B. signe un premier disque court et efficace, sombre et baveux, faussement amateur, superbement libre.

Philippe B.
Éponyme
(BONSOUND)
Lancement
Lundi 12 septembre au Verre Bouteille