Ariane Moffatt : Éloge de la fuite
Musique

Ariane Moffatt : Éloge de la fuite

Revenue d’Europe, Ariane Moffatt porte à la scène son nouveau coup de maître avec la passion éclairée et la prudence des seconds rendez-vous. Beau grand bonheur de mars en vue!

Il faudrait, ces temps-ci, vivre en transit, franchir les corridors vitrés et les vieux murs au lambris de chêne français, rêver les voix suaves de speakerines annonçant partances entre Québec et Paris pour la rencontrer.

Portée par l’accueil précieux des meilleurs Français, après avoir signé chez Virgin et avant l’Olympia en première de l’énorme rentrée parisienne de Souchon, Ariane Moffatt tourne un clip à l’aéroport d’Orly.

Dans cette vieille antichambre romantique où Delon pleurait virilement Schneider en 75, la fille s’applique à coller des images de sa petite personne issue du Coeur dans la tête.

Sur l’album, l’impudique Terminus, remarquable chanson autobiographique d’aéroport, témoigne de la barrière franchie difficilement avec ce deuxième CD terriblement attendu alors que la fille, pratiquant l’éloge de la fuite, prenait la mesure du temps arrêtable en des lieux de transit. Moffatt y a écrit: "J’ai fait passer la musique avant moi" et y affirme en pochette: "Maintenant je suis prête à rentrer et faire mon prochain disque."

Car à 27 ans, ce retour n’a pas été sans doute: "Au lieu de me propulser dans une confiance possiblement méritée, le succès d’Aquanaute m’a fait plus de peur que de plaisir… La pression… Et effectivement, prendre du recul, partir ailleurs, aller visiter Mathieu Chédid par exemple, m’a permis de confirmer que c’était ça que je voulais faire de ma vie", dit Ariane déjà en partance pour Paris: "Mais la libération, c’est qu’un album aussi personnel ait pu être si bien accueilli."

Entre d’inouïes audaces dans la pop francophone d’ici, point d’orgue de ce magnifique travail, le voluptueux Laboratoire amoureux, dont on ne se lasse pas. Indolente chanson dont l’exotisme propre à casser tous les hivers mériterait, entre tous les palmiers et tous les bananiers, de passer à l’histoire des rêveuses dérives climatiques de la frileuse chanson d’ici: "Je sais, avoue-t-elle en un rire, je fais des musiques hétéroclites! Parfois ça me fait un peu peur, je me demande comment les gens peuvent se retrouver dans tout ça… J’aimerais bien un jour pouvoir me concentrer sur un seul style, l’électro par exemple… Mais en même temps, je voudrais tellement tout rassembler en me fiant simplement à mes instincts… Il y a tellement d’espaces à occuper, c’est infini!"

Léger paradoxe pour cette fille multi-instrumentiste et folle de musique, le processus de création origine toujours de quelques écrits intimes. Or, les sombres textes du Coeur dans la tête, de la ligne à la portée, ont subi une mise en musique voluptueuse frisant l’extase. On cherchera inutilement chez Moffatt quelque douleur que la musique n’a pas finalement apaisée, malgré la dérision de son époque individualiste, anecdotique et douteuse. Et peut-être est-ce sur cette soulageante aptitude à la métamorphose entre la source et ses affluents que repose la force fondamentale de ses chansons auxquelles le Québec des 18-35 ans s’identifie profondément: "Je mets du rose sur mes peurs / On va boire du petit bonheur tranquille" (Laboratoire amoureux). "L’extase? Peut-être! Mais si un jour je ne me souviens pas du sens du mot "intensité", je réécouterai cet album pour me souvenir de la force des sentiments qui l’habitent. Positif, négatif, les contrastes! Une explosion!"

Au chapitre des petits bonheurs que Moffatt et ses cinq musiciens devront maintenant partager sur scène en mars lors de cette rentrée très attendue, préserver la spontanéité des chansons du Coeur dans la tête demeure un défi majeur: "Aquanaute était sérieusement rodé, dit Moffatt à propos de la très longue gestation de son premier album et des concerts qui suivirent. Cette fois-ci, je fais une rentrée très rapide. Ça va vite. C’est plus stressant. Mais dans la spontanéité de la scène, avec mes amis, ces peurs s’estompent. Je m’envole et la musique reprend sa place. Et de quoi pourrais-je me plaindre? C’est un état de conscience, à comprendre malgré tout le reste: Heille! Je suis ici pour avoir du fun."

Le 16 mars à 20h30
À L’Impérial de Québec
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