Omnikrom : Objet de convoitise
Musique

Omnikrom : Objet de convoitise

Omnikrom évite la facilité et touche plusieurs branches de la musique électronique sur son deuxième disque, Comme à la télévision. Acheteurs compulsifs et aimants à groupies, les membres vieillissent, mais restent jeunes.

C’était à l’automne 2005, époque où la formation hip-hop-électro Omnikrom était le pavé dans la mare d’une scène rap québécoise axée sur la conscientisation sociale. "Nous appelons magie ce qui est meilleur que tout, expliquait Jeanbart en entrevue. En ce sens, Omnikrom ne fait pas de la magie… Omnikrom, c’est de la magie! C’est ce qui va nous rendre riches. D’ici deux ans, tout le monde va nous aimer, et même ceux qui nous détestent écouteront nos albums en cachette. Je ne veux pas garder la tête froide. Je veux de l’argent et je le dis!"

Deux ans plus tard, quasi jour pour jour, le trio complété par Linso Gabbo et le producteur Figure 8 mettait la main sur le Félix de l’album hip-hop de l’année pour Trop Banane!. Mélange de musique électronique, de crunk, de rap, de pop et d’irrévérence, le compact a connu un succès au sein de la scène indépendante, ouverte au rap plus avant-gardiste champ gauche, mais a surtout conquis un vaste bassin de jeunes filles, disons de 13 à 19 ans. Tombées sous le charme de l’attitude cool et du look Omnikrom (lunettes fumées, casquettes à palette drette, vêtements urbains et espadrilles de collection), elles se sont approprié les pièces Prends une photo avec moi, Été hit et le succès Danse la poutine (auquel participent les Français de TTC). La même année où le groupe a participé aux FrancoFolies de Montréal, la vague l’a poussé jusqu’en Europe, à Spa et Larochelle.

ACHETE-MOI

"On n’est pas devenus millionnaires, mais disons qu’on peut s’acheter bien des affaires dont on a longtemps rêvé", explique ce même Jeanbart à quelques jours du lancement du deuxième album du groupe, Comme à la télévision. Ces objets, on les retrouve pêle-mêle dans un sous-sol bordélique immortalisé sur la pochette du compact. Un foutoir à faire pleurer ce costaud de Monsieur Net. Crottes au fromage, vaisselle sale, consoles de jeux vidéo, vêtements éparpillés, vieux Kleenex, chapeau des Expos, voiture téléguidée, bouteilles de bière, bobble heads et trophées Félix. Les casquettes de Linso Gabbo s’empilent sur une étagère. – Tu en as combien? "Je ne sais pas." On y trouve aussi quelques figurines sorties de la collection de Figure 8. "Quand j’étais petit, je trippais sur les Transformer. Aujourd’hui, j’ai assez d’argent pour acheter la série au complet. Pourquoi me priver?" Au sol, les souliers Ewing (pour Patrick, le joueur de basketball) de Jeanbart. "C’est le genre de chaussures que t’as peur de te faire taxer à l’école. Je me suis acheté sur Ebay la même paire que j’avais quand j’étais petit. Je ne les porte pas. C’est comme quelqu’un qui achète un tableau. Pour moi, ces souliers ont une valeur. Ce n’est pas de la surconsommation, c’est de la nostalgie. On a 28 ans, un peu d’argent et pas de responsabilités. On se fait plaisir."

Dissimulés dans la pièce, 13 objets spécialement conçus pour l’occasion représentent les 13 titres de l’album, dont Feel Collins, illustré par la pochette du disque No Jacket Required où le visage de Phil Collins a été remplacé par celui de Jeanbart. "La structure de la chanson est directement inspirée de In The Air Tonight de Collins, confie Figure 8. On y effectue la même longue montée. C’est un clin d’oeil assumé. Même notre refrain est une traduction du refrain de Collins. Quand il crie Oh! Lord!, on crie Seigneur!" Prog atmosphérique et noyée de vocodeur, la pièce détonne des hymnes club auxquels le groupe nous a habitué. Le constat frappe à l’écoute de Comme à la télévision, réalisé par les producteurs montréalais en vue de Mégasoid (Sixtoo et Hadji Bakara de Wolf Parade). Contrairement à TTC qui se répète plus qu’il innove, Omnikrom quitte sa zone de confort et signe Dans tes rêves, un air pop new-wave plus langoureux chanté avec Coeur de Pirate. Une ambiance cabaret g-funk menée par la batterie d’Arlen Thompson (Wolf Parade) règne sur Plus tard. Même les punks des Sainte Catherines mettent l’épaule à la roue sur l’électro-punk Vedettes. Il y a toujours ces beats assassins entendus sur la pièce-titre et sur l’excellente Les Tronches – très Ed Banger -, produites par Le Matos, mais le désir de faire autrement est palpable. "On ne s’est pas forcés pour faire quelque chose de différent, précise Jeanbart. Notre premier album nous a donné confiance. Cette fois, on s’est dit: "Ok, on fait de la musique pour faire de la musique." Si on a envie de chanter une chanson qui sonne comme ça, on le fait. Un point c’est tout."

"Il y a un truc qui a changé, admet tout de même Linso Gabbo. On a composé l’album isolés dans un chalet des Cantons de l’Est. C’était le seul moyen de se distancier de nos vies quotidiennes et de se concentrer sur la composition. Sans Internet, sans cellulaire, sans télé, on n’a pas eu le choix de travailler sur l’album. Pour la première fois, on a composé les chansons à trois. Généralement, Figure 8 faisait les beats de son côté, et on ajoutait nos voix. Cette fois, il montait ses beats devant nous, on commentait son travail et on le dirigeait selon nos textes. Les voix se faisaient dans la salle de bain. On les écoutait et les peaufinait ensemble."

Les textes ont également évolué. Si Trop Banane! ne causait que de party, d’argent et de filles, Comme à la télévision traite de thèmes plus variés. La formation y aborde le passage à l’âge adulte (Je crie encore), prend la défense des nerds sur Les Tronches – après tout, ils ont inventé l’Internet – et évoque avec ironie leur futur sur Plus tard. "Il y a plus de sentiments, plus de figures de style et plus de niveaux de langage, soutient Jeanbart. Contrairement à Trop Banane!, il faut écouter une chanson plus d’une fois pour bien saisir sa profondeur."

LA TROISIEME DIMENSION

Voilà ce qu’il y a de bien avec Omnikrom. Alors que plusieurs de leurs détracteurs condamnent leurs textes parfois salaces, leur culte de l’objet et leurs nombreuses pitreries exposées dans la série web-télé Backstage avec Omnikrom, le groupe s’impose au Québec grâce à son originalité. Difficile aujourd’hui de parler de Radio Radio, d’Arvida Crew ou d’Obscene Kidz sans faire de liens avec le trio. Parallèlement, le groupe s’impose aussi dans le coeur des fans grâce à un rapport de proximité entretenu par le blogue du groupe mis à jour quotidiennement (omnikrom.net) et par la série Backstage. "Ce rapport plus personnel permet aux gens de découvrir une nouvelle dimension du groupe. T’as les personnages sur scène, t’as les personnages sur disque, et le blogue et la série télé nous permettent de présenter les personnages dans la vie de tous les jours. Si t’es un fan, t’es super content d’avoir accès à ça. J’ai aussi un Twitter. En ce moment, les gens savent que je suis en entrevue avec le Voir. Je trouve ça cool d’en donner plus. Moi, quand je trippe sur quelque chose, je peux passer des heures à me renseigner sur le sujet. Nos fans peuvent faire la même chose avec le groupe."

Un bon moyen pour accrocher les nombreuses groupies? "Dans la culture hip-hop, les groupies ont un rôle important, selon Linso Gabbo. Elles ont le droit d’exister et sont même encouragées. Règle générale, une groupie de Pierre Lapointe n’ira pas le déranger au restaurant. Elle va le regarder, mais restera discrète. De notre côté, les groupies veulent nous voir, nous prendre en photo avec elles, nous demander notre autographe. Ça ne nous dérange pas, on a couru après", explique-t-il en faisant référence aux pièces Je t’aime groupie et Prends une photo avec moi. "Je m’étais déjà dit que, si je venais un jour à signer des autographes, jamais je ne refuserais de le faire. Je reste fidèle à ma devise. Les seules filles à qui je refuse un autographe, c’est celles à qui je viens de signer les jeans, la ceinture, le cellulaire, la sacoche, la casquette et les souliers. Faut pas charrier!"

Omnikrom
Comme à la télévision
(Saboteur)
En magasin le 19 mai

ooo

Comme à la télévision

Achetée pour 250 $ US sur Ebay, la télévision rétro-futuriste photographiée sur la pochette de Comme à la télévision représente bien les membres d’Omnikrom, gavés à la culture pop du petit écran. "La télé est le reflet de la culture mondiale et québécoise, analyse Jeanbart. On aime faire des références à télé dans nos pièces parce qu’elles sont rassembleuses. Les gens s’identifient à ces clins d’oeil. Ça devient aussi puissant que de raconter une réelle peine d’amour dans laquelle se retrouve aussi l’auditeur. Comme la musique, la télé crée des émotions, même si pratiquement tout ce qu’on y voit est stagé." Leurs chaînes favorites? Linso Gabbo: "RDS, TSN et Sportsnet; je suis un maniaque de sport." Figure 8: "Food Network, Showcase et Radio-Canada." Jeanbart: "RDS, Télétoon, Radio-Canada."