Jeffrey Lewis : Le « pas très bon »
Musique

Jeffrey Lewis : Le « pas très bon »

Le musicien et bédéiste anti-folk Jeffrey Lewis a beau se qualifier d’artiste "pas très bon dans quoi que ce soit", son parcours n’en demeure pas moins fascinant.

Contrairement à l’ex-Moldy Peaches Kimya Dawson qui a rejoint le grand public grâce à sa participation à la trame sonore du film Juno, Jeffrey Lewis n’a pas encore connu de succès populaire. Le musicien et bédéiste demeure pourtant l’artiste le plus fascinant de la présente scène anti-folk new-yorkaise. Seulement l’an dernier, le chanteur lançait chez Rough Trade un album hommage à l’iconoclaste groupe punk anarchiste Crass, tournait en Europe avec Jarvis Cocker et Stephen Malkmus, signait de courts essais sur la composition dans le New York Times, et incitait les Américains à voter Obama en larguant sur YouTube une biographie musicale et illustrée de celui qui allait devenir le 44e président américain.

"Je devais simplement faire ma part pour favoriser son élection", précise tout bonnement Lewis à ce sujet.

En plus de mettre l’actualité en musique pour le site Web du quotidien britannique The Guardian, l’illustrateur s’est même rendu en Australie, au mois de mars dernier, pour effectuer quelques lectures publiques de la BD Watchmen, sur laquelle il a rédigé une thèse au début des années 2000.

À 33 ans, Jeffrey Lewis fait partie de ces obscurs artistes touche-à-tout accueillis à bras ouverts par la critique et ses pairs. "J’ai la liberté de toucher à plusieurs disciplines parce que je ne suis pas très bon dans quoi que ce soit. Si j’étais un guitariste jazz extrêmement doué, il faudrait que je me consacre à temps plein à la musique jazz, ce qui serait lassant. Mais parce que je n’excelle dans aucune discipline, la musique et l’art me permettent d’exprimer essentiellement des idées qui me stimulent. Les idées sont tout le moteur de mon travail. Peut-être que cette approche est plus intéressante que celle de quelqu’un qui dessine ou chante vraiment bien."

Intrinsèque à l’esprit anti-folk, qui vise à insuffler une attitude punk au sérieux du mouvement folk, cette non-recherche de la perfection colle bien à ‘Em Are I, quatrième album du New-Yorkais lancé cette semaine. Aussi accessibles que celles des fameuses pêches moisies, les compositions rock et folk du compact sont dominées par une attitude pop, naïve, jeune et insouciante. Accompagné d’un livret dessiné par Jeffrey, le disque pourrait bien être celui qui propulsera le compositeur hors du petit cercle fermé de la contre-culture, comme ce fut le cas pour Kimya Dawson et Juno.

Mais le principal intéressé ne s’en formalise guère. "Ça fait 25 ans que la scène anti-folk est pressentie pour devenir big tous les quatre ou cinq ans. Tout ce battage entourant la trame sonore de Juno n’a pas eu de grand effet, selon moi. L’émergence d’un Daniel Johnston a eu beaucoup plus d’impact sur notre milieu. Je crois que peu importe le contexte, la qualité finit toujours par triompher à long terme, même si ça prend 20, 30 ou 40 ans. Aujourd’hui, les gens connaissent The Monks, Os Mutantes et Silver Apples."

Souhaitons que Lewis n’ait pas à attendre tout ce temps.

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Moldy Peaches, Ben Kweller, Daniel Johnston