Indochine : Danser sur un volcan
Musique

Indochine : Danser sur un volcan

Presque 30 ans après sa naissance échevelée, Indochine entonne encore des hymnes à la précarité des choses. Et ça marche!

On ne pourra guère tenir rigueur à Nicolas Sirkis d’avoir manqué ses premiers rendez-vous téléphoniques et de nous avoir fait attendre. L’excuse est unique: il pataugeait dans les surprises-parties de son 50e anniversaire.

Et comme tout ce qui concerne cet indécrottable Peter Pan hirsute et maigrichon demeure intrinsèquement lié au groupe qu’il porte à bout de bras, l’occasion s’avère idéale pour causer de résistance morale et physique: 50 ans! Presque 30 de rimmel imperméable, de coupes de cheveux "Elizabeth Taylor", d’androgynie et surtout de refrains ludiques, avec, dans chaque couplet, une fille inaccessible et un peu de révolte post-adolescente tapageuse. Bref, presque 30 ans d’Indochine.

"Tout ça, c’est parce que je ne sais rien faire d’autre!" lance Nicolas Sirkis, à la sauvette, depuis Paris, avant de se contredire en vantant les libertés créatrices que lui procure désormais l’écriture hors d’Indochine.

Mais que dire d’autre, en fait, qui puisse justifier cet inexplicable désir de durer devant des milliers de fidèles? "Je ne sais pas…C’est si irrationnel d’exister durant 30 ans! Au milieu des années 80, j ai senti qu’Indochine survivrait tant qu’il s’agirait d’une passion et que nous aurions un public… Et ça dure! Le jour où nous sommes devenus plus populaires qu’alternatifs, on a crié qu’on avait vendu notre âme au diable… Mais c’est faux: nous, notre âme, on l’a donnée avec joie", dit-il, vaguement revanchard.

Parce que, à 50 ans, Sirkis est comme un enfant taxé de ses billes qui échappe à ses poursuivants et se retourne pour leur faire la grimace. La critique a massacré le superficiel Indochine pendant un tiers de siècle tandis que les fans s’accumulaient aux balcons par dizaines de milliers: "Délirant! renchérit-il. Cette élite, ça se repasse l’insupportable Claude François par nostalgie, mais ça s’emportait violemment contre nous! Eh! C’était juste de la musique! De la pop! Ça ne changeait pas le monde! Ou alors juste un peu!"

LA VAGUE

Tel un scénario noir et blanc d’Hollywood, Indochine se raconte en quatre temps: la conquête, la gloire, la chute, le retour. Entre 1982 et 1993, le groupe vend trois millions de disques, trois fois plus de singles construits comme des slogans sociaux explosifs: "Sans faire de politique, on faisait des hymnes à fredonner par les masses. Les Tzars, par exemple, j’ai mis là-dedans tout ce qui désabusait notre génération…"

Et puis de 1993 à 2002, passage à vide. Largué par sa compagnie de disques, Indochine vacille: "T’imagines! Après tout ça, on a été jetés comme de vieilles serpillières! On a assisté à toute l’hypocrisie dégueulasse précédant l’effondrement du disque; l’autodestruction de cette industrie qui explique désormais elle-même comment elle fabrique ses arnaques sur les ondes de Star Académie et American Idol."

En 2002, au moment où on le traite de "sinistre ringardise échappée des années 80", Indochine, soutenu par les collaborations de Mickey 3D et Jean-Louis Murat, ré-explose avec Paradize (un million de copies en quatre mois!). Désormais, la musique se situe entre l’ancien et le nouveau monde: "Indochine a gardé ses vieux synthés, mais ça n’avait plus rien à voir avec les années 80." Tandis que le propos se fait plus… "culturel": "Peut-être avons-nous maintenant l’envie de fixer l’éphémère, explique Sirkis. D’évoquer nos influences politiques, artistiques, sociales, historiques… De parler de Marguerite Duras et Marie Curie. De nommer cette époque où chaque génération a été sacrifiée: la guerre, l’économie, le sida…"

Il aura beau s’attarder au fugace, sur le tout récent La République des Meteors, Indochine persiste dans ce qu’il a à la fois d’agaçant et de délicieux avec un recul délibéré: Sirkis fausse encore, les intros redondantes rabâchent toujours quatre notes et deux accords, et les arrangements sonnent comme des balades en ambulance dans un siècle de bombardés, ce qu’il commente: "Cette décennie n’est plus qu’une crise globale générée par le mensonge et la cupidité."

Et pourtant, ni défauts, ni manques, ces particularités sont désormais des marques de commerce. Les traces indélébiles de quelques dizaines d’années inquiètes, sur lesquelles une planète violente peut parfois encore danser avec une légèreté faussement naïve?

Il dit: "Oh, oui, tout à fait!"

À écouter si vous aimez /
Erasure, Depeche Mode, Mari Wilson