Obatala : La république phonétique
Musique

Obatala : La république phonétique

"Musique du monde québécoise". La catégorie est vaste, mais Obatala occupe toute la place. Entrevue entrecoupée de "wompage".

La bonne entente règne au sein du collectif estrien Obatala, mais on ne peut pas vraiment parler d’une démocratie. Même à petite échelle. Autour de la table, Jean-François Bégin (voix, batterie et congas) et Jonathan-Guillaume Boudreau (voix et basse) sont les "gentils dictateurs" de cette joyeuse république musicale.

"On a parti ça à deux, confirme Boudreau. C’était pour se faire plaisir. Pour le premier album [Piñata (2006)], on est allés chercher des collaborateurs, mais c’est lors des premiers shows qu’Obatala est devenu une gang." Précision de l’acolyte: "On reste les leaders du projet. On compose la majorité des trucs, puis après avoir présenté nos idées, on arrange ça en groupe."

Et ça s’entend. Sur chacune des pièces du troisième disque du groupe, Okémâyalé, une pléiade de musiciens occupe l’espace musical et tous y trouvent leur place afin d’en arriver à un son world inclassable, soit le "son Obatala".

L’alignement a changé depuis Bouge, l’album précédent. "On est tous des musiciens professionnels, explique le bassiste. On a tous d’autres projets. C’est donc une question de disponibilités." Le conflit d’horaire est la seule discorde possible. François Couture (percussions, batterie), David Élias (saxophone baryton), Philippe Dussault (guitare) et Pascal "PER" Veillette (harmonica) complètent les rangs de la formation actuelle. "Y a aussi Stéphane Tellier, qui a beaucoup joué sur l’album et qui va être là en spectacle", indique Bégin. Tout comme lui, Tellier est dans Wop-Pow-Wow, un autre groupe qui aime fusionner les musiques du monde.

Lorsqu’on leur demande qui joue dans quoi, Bégin et Boudreau y vont de listes exhaustives, mais incomplètes. "Il y a tellement de projets qu’on ne sait pas ce que fait tout le monde", plaident-ils. Avec toutes ces avenues musicales, la pérennité du projet Obatala relève donc d’une certaine alchimie. "C’est dur de garder l’ambiance du band qui pratique dans le garage comme quand tu es jeune, que tu fais ça pour t’amuser, que tu fais appel à un ami quand t’as besoin d’un guitariste… Dans le fond, on est tous nostalgiques de notre premier band de garage. Maintenant, on gagne nos vies avec la musique, on joue la game, mais Obatala, ce n’est pas ça", explique Boudreau.

"Ce band-là, c’est notre coeur, renchérit Bégin. On n’y fait pas de compromis artistiques, et c’est pourquoi la bande devient de plus en plus soudée. C’est une grosse famille."

Défier les lois du son

L’enregistrement d’Okémâyalé s’est fait à coups de festives séances qui avaient des allures de détente estivale au chalet. "Bouge, ce fut un marathon. Pour celui-ci, c’est une tout autre histoire. C’était don’t worry, be happy. Ça s’est fait l’été passé alors qu’on jouait tous six ou sept fois par semaine, mais tout le monde se trouvait du temps à travers ses gigs", relate le bassiste, peu loquace quant aux péripéties de studio. "On peut difficilement te conter des anecdotes… C’est un peu comme ouvrir la porte de sa chambre." Comme le veut le dicton: ce qui se passe au chalet reste au chalet.

Il faut donc écouter Okémâyalé pour deviner les événements qui ont mené aux chansons, sûrement les plus abouties du groupe. "C’est peut-être ma perception de l’intérieur, mais je trouve que c’est un album plus pop que les deux premiers, plus concis, mieux ciblé, juge Bégin. Notre évolution est logique… C’est encore du Obatala parce qu’on ne s’est jamais donné de directions. Nous, on fait ce qui nous tente. Si on a un flash, on le développe."

Son collègue poursuit: "Obatala, c’est de la musique du monde dans le sens large du terme. Nous autres, on appelle ça de la musique du monde québécoise. En plus, on est rendus juste des Québécois dans le band; avant, on avait un percussionniste de la République dominicaine et un claviériste de la Guadeloupe…"

La principale différence avec Bouge? "Cet album est plus organique, explique Boudreau. Les claviers ont pris le bord et il y a du nouveau avec le bouzouki. Avant, il y avait moins d’unité dans le son."

Obatala carbure tout de même à l’audace. Pour Boudreau, elle réside surtout dans la combinaison de deux instruments: l’harmonica et le saxophone baryton. "On a beaucoup d’influences africaines, latines… Dans ces bands-là, il y a souvent une section de brass. La nôtre, elle a un autre son, mais elle joue la même fonction. Notre rythme réside là-dedans. C’est fou à quel point ça marche; ça défie les lois de l’arrangement. C’est comme un éléphant avec une souris. C’est complètement éclectique, nouveau, et c’est intéressant d’expérimenter. En fait, Obatala est un band d’expérimentations."

Avant Okémâyalé, c’est en spectacle qu’Obatala s’appréciait à sa juste valeur. Cette fois, le disque est très représentatif de ce que ça peut donner live. Le type de performance qui colle à la peau du groupe: lorsque tout le monde est debout! Imaginez un soir de festival en été… sans chaises pliantes! "Ça peut se faire en salle lorsque le monde est assis, mais c’est pensé pour que tout le monde danse", résume Boudreau. Alors on danse.

Il faut que ça "wompe"

Avant d’aborder les textes des chansons du groupe, Jean-François Bégin met cartes sur table. "Obatala, c’est comme un band instrumental avec voix."

Ainsi, même si les voix des musiciens enchaînent des mots en français, les amoureux de la langue tiqueront peut-être, sauf si la phonétique les branche. "Les textes, souvent humoristiques, sont là pour aider la musique. Il faut que ça groove." Pour eux, est-ce que l’écriture de paroles est un mal nécessaire? "Non, car tant qu’à dire un mot, je vais le dire dans ma langue. Je vois mon p’tit gars écouter un truc en anglais et il le chante ensuite, même s’il ne le comprend pas. J’aime ça. Nous autres, on appelle ça "womper"."

Il faut donc plutôt parler d’un exercice de style conscient, fait avec autodérision. "Avec le troisième album, on peut dire que c’est devenu un trait distinctif d’Obatala, résume Boudreau. Ça ne veut rien dire, ça va nulle part et on l’assume pleinement. On a le désir de n’avoir rien de lourd. C’est complètement ludique. Ça fait partie de notre son."

"C’est le reflet de notre bonne humeur. Nous, on ne chiale jamais; on n’est pas tristes", lance Bégin, qu’on croit sur parole.

Obatala
Okémâyalé
(Indépendant)

À écouter si vous aimez /
Sergent Garcia, Wop-Pow-Wow, la phonétique