St. Vincent : Jeunes filles interrompues
Musique

St. Vincent : Jeunes filles interrompues

St. Vincent, alias Annie Clark, vient présenter les chansons de son plus récent album, Strange Mercy, sur lequel elle donne voix à des femmes sensibles et perturbées à travers les attaques de guitare.

Strange Mercy

s’ouvre avec Chloe in the Afternoon. Sans les sournoises agressions de guitare qui, par la bande, nous mordent au flanc, on se croirait quasiment chez Björk. Dès la chanson suivante, Cruel, on reconnaît Annie Clark, suspendue dans une posture aussi gracieuse qu’incarnée, entre envolées séraphiques et quelque chose de plus brutal qui pointe la racine rock, indissociable de sa musique. Surtout quand vient le temps d’appuyer un passage où elle chante avec aplomb: "I don’t want’ a be cheerleader no more."

Les contrastes: voilà un repère pour trouver son chemin dans les univers parfois labyrinthiques de St. Vincent. "Lorsque quelque chose me fascine, je continue de l’explorer. Strange Mercy me semble en continuité avec ce que j’ai fait par le passé, mais il tourne davantage autour des guitares. Ce n’est sans doute pas étranger au fait que j’ai écrit toutes les chansons à la guitare et non pas sur un ordinateur, comme ce fut le cas pour la douzaine d’albums auxquels j’ai collaboré par le passé. De l’extérieur, ce n’est sans doute pas si intéressant, mais pour moi, le recours à un processus plus organique change beaucoup de choses", précise l’Américaine qui avait composé Actor, son album précédent, sur… GarageBand.

Au sommet du panthéon des guitar heroes, elle fait trôner Marc Ribot: "La guitare, tu peux soit l’étrangler, soit la faire chanter; à mes yeux, Ribot est passé maître dans les extrêmes." Et qu’est-ce que la six cordes permet, encore davantage que les mots, d’exprimer? "Les humeurs plus agressives, presque violentes, je ne saurais pas les chanter."

Sur son troisième album, Annie Clark s’est entourée de jeunes femmes sensibles et perturbées. Chloe in the Afternoon réfère à un film d’Éric Rohmer (L’amour l’après-midi, 1972), dernier volet des Six contes moraux dans lequel Chloé, jouée au cinéma par l’actrice Zouzou, incarne la maîtresse d’un homme. "Dans ma chanson, je propose une finale alternative, car dans le film, le personnage fait "la bonne chose". Bien agir, moralement parlant, c’est souvent un brin ennuyant à mon goût; alors voilà, je propose une conclusion différente."

Parlant de beautés vulnérables avalées par des dynamiques de désir malsaines et autodestructrices, dans Surgeon, c’est carrément Marilyn Monroe qui revient nous hanter: "La ligne où je chante "Best fine surgeon, come cut me over" est tirée de son journal intime. Dans ce passage, elle fait référence à son professeur de théâtre, un genre de gourou très réputé à l’époque, qui aidait les artistes à voir clair en eux avec des méthodes assez particulières… Je trouvais que cette phrase avait une résonance à la fois belle et triste, alors je m’en suis inspirée. Ce mélange de beau et de brutal reflète bien ma démarche et ma vision du monde – d’où le titre de mon album. Quoi que je fasse, je reviens toujours à cette dualité."