Norah Jones : Le journal de Miss Jones
Musique

Norah Jones : Le journal de Miss Jones

Vous prévoyiez offrir à grand-maman le nouveau Norah Jones? Réfléchissez-y à deux fois. …Little Broken Hearts se révèle on ne peut plus aux antipodes de ce pourquoi vous êtes tombé amoureux de la jolie chanteuse il y a 10 ans.

La Norah Jones que vous pensiez connaître n’est plus. Du moins, elle n’aura jamais vraiment existé, devriez-vous consentir avant de poursuivre la lecture de ce texte. Prenez, par exemple, la compilation …Featuring, parue aux Fêtes 2010 sous étiquette Blue Note, et qui réunissait les collaborations que la suave chanteuse a accumulées depuis ses débuts fracassants avec le certifié diamant (1 million d’exemplaires vendus au pays) Come Away With Me en 2002. Son ahurissante liste d’invités fait preuve avec grande agilité du statut d’iconoclaste de l’égérie de la note bleue: Foo Fighters, Willie Nelson, le rappeur Q-Tip, Talib Kweli, le groupe indé culte Belle & Sebastian, Ryan Adams, Herbie Hancock…

Il ne fallait donc pas se surprendre de l’entendre susurrer quelques mots doux à nos oreilles sur l’album néo-spaghetti western Rome du duo Danger Mouse et Daniele Luppi paru l’an dernier. Jointe au bout du fil, prise dans le convoi qui la mènera à l’une des nombreuses apparitions télévisées que son label lui a dénichées pour faire la promotion en aval du récent …Little Broken Hearts, Jones se remémore ses premières rencontres avec Mouse et Luppi. "Tout ça s’est fait de façon très naturelle. Ils avaient en tête une voix féminine; ils ont fait appel à moi. Mon horaire venait de se libérer. Ç’a été que du plaisir."

Le studio des coeurs cassés

…Little Broken Hearts, avec sa pochette pastiche de l’affiche du long-métrage de série B de 1965 Mudhoney et son groove noir indé on ne peut plus présent, transporte Norah Jones aux antipodes du romantisme de clair de lune de Come Away With Me: c’est un disque de rupture amoureuse. De la stoïque Good Morning en ouverture – "Why did you do it?" lance-t-elle à qui voudra l’entendre – à Happy Pill, solide fuck off serti d’un joli saxo, …Little Broken Hearts se veut à l’image d’une femme aux prises avec les doutes, contradictions et peines de la rupture amoureuse. "Bien qu’il puisse être perçu comme un album de rupture autobiographique, confie Jones, …Little Broken Hearts est plus que "voici Norah et son coeur brisé". Plusieurs des chansons relèvent beaucoup plus de la fiction que du journal intime."

C’est le cas probablement de Miriam, hypnotique berceuse qui transforme son chant douillet en menaces voilées envers celle pour qui l’autre l’a laissée en plan: "Miriam, when you were having fun in my big pretty house, did you think twice?" Jones nous rassure: "Avec plusieurs de ces chansons, je me suis plu à devenir cette femme que je n’oserais jamais être. L’amère, la folle d’amour, la déprimée…"

Mais on ne saurait dire où se dresse la ligne entre réalité et fiction puisque la principale concernée se fait délibérément floue: "Peut-être", répondra-t-elle quand on voudra savoir si l’écriture de ces pièces purgatives lui a permis de panser quelques plaies. Peut-être? Elle nous cloue le bec avec un retentissant: "Je sais pas!… Peut-être."

Des souris et des pleurs

Figure de proue du rock indé américain, Danger Mouse (Brian Joseph Burton) s’est fait connaître par son mashup viral The Grey Album, sur lequel il relevait haut la main le défi d’assembler les pièces du White Album des Beatles avec celles du Black Album de Jay-Z. Puis il a créé des miracles soul au sein de Gnarls Barkley. Ensuite, fort du succès monstre qu’aura été Crazy, il s’attaquait à la réalisation d’un autre classique, Demon Days de Gorillaz, de même qu’aux récentes parutions des Black Keys. C’est lui qui a assuré la réalisation de …Little Broken Hearts, offrant à Jones une expertise sonore parfaite pour l’éloigner encore plus du pop jazz manucuré des débuts.

"J’étais excitée de travailler avec Brian sur le son. C’était là toute l’intention de la collabo: expérimenter et trouver l’endroit où j’allais être à mon aise dans le monde sonore de Danger Mouse. Quand nous nous sommes assis ensemble, je n’avais aucune idée de comment l’album allait sonner. Et c’est ce que j’apprécie chez Brian: il y a chez lui ce spectre si vaste de sons dont il connaît les rouages, c’est impressionnant. Il fait du soul, du rock et du folk d’une façon unique."

À l’écoute de …Little Broken Hearts, nous aimons nous imaginer une Norah Jones qui trouve en son réalisateur une oreille attentive, une épaule réconfortante et un nouveau confident. On ne saurait dire si tel fantasme est réellement survenu. La chanteuse reste discrète: "Brian et moi avons eu l’occasion de nous connaître vraiment bien lors de l’enregistrement de l’album. Je ne saurais dire s’il a été mon confident, mais comme les sujets des chansons étaient nécessairement plus personnels, il doit savoir des choses sur ma vie que d’autres ignorent."

Comme quoi?

Elle conclut, du bout des lèvres: "Que je ne suis pas la Norah Jones que les gens pensent connaître."

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