Koriass à Coup de cœur francophone : Le cauchemar sur la rue des Saules
Rap-Hip-Hop

Koriass à Coup de cœur francophone : Le cauchemar sur la rue des Saules

Koriass revisite un épisode sombre sur son troisième album.

À l’autre bout du fil, Koriass est pragmatique et détendu, presque à l’image de son alter ego fanfaron Korey Hart, mais tout de même aux antipodes de son propos. Lorsqu’on lui demande si on a bel et bien droit à son disque le plus ombreux avec Rue des Saules, le rappeur rétorque, pince-sans-rire: «C’est quand même lié à une dépression, tu sais!», avant d’ajouter, «Je dis « dépression », là, mais je ne crois pas qu’on le mentionne sur l’album. Ça ne demeure vraiment qu’en trame de fond.» Bref, bienvenue sur Rue des Saules, une œuvre loin de l’horreur à la Nightmare on Elm Street, mais qui risque quand même de faire réagir.

«Degenerate mon bitterness, j’suis rendu sick of it(Koriass, sur Devenir fou)

Lorsqu’on l’invite – timidement – à crever l’abcès, Koriass prend le relais avec vigueur. «Ne te gêne pas. Tu peux poser la question!» Ainsi, Rue des Saules a été meublé à la suite d’une dépression du principal intéressé, alors déchiré entre ses rôles d’amoureux, de nouveau père et d’artiste derrière Petites victoires, un second album qui aura permis au rappeur de rejoindre un public de plus en plus large. «Il y a un moment où je suis arrivé avec des remises en question existentielles», confie-t-il. «Je me demandais si j’étais au bon endroit dans ma vie, par exemple. Je crois que ça arrive dans la vie de tout homme, un jour.»

Plus tard, Emmanuel Dubois – ou «comme Militari, mon nom c’est Manu», mentionne-t-il sur la pièce titre – fera valoir que «c’est aussi un problème chimique. La dépression n’est pas qu’un événement, c’est aussi de l’accumulation qui joue avec la chimie dans ton corps. J’ai donc consulté, puis j’ai pris des antidépresseurs». Qu’est-ce qui a poussé Korey à chercher de l’aide? Les strophes de l’album ne donnent pas de pistes, ni d’indices. Elles révèlent plutôt carrément la raison, sans fard, ni honte. «J’étais dans un état où je ne me reconnaissais pas et, pourtant, j’suis quelqu’un d’assez easy going, stable émotivement et pas du tout bipolaire, mais j’étais quand même dans un creux où j’étais toujours déprimé et je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’ai fait des affaires vraiment poches à des gens que j’aime. Je n’étais pas une bonne personne pendant cet épisode. J’ai donc puisé là-dedans.»

«Faire un bassline crémeux sur mon microkorg.» (Koriass, sur Choses)

Koriass ne le cache pas, la direction – plus mature, mais aussi plus sombre – qu’il s’est donnée au début de l’année pour Rue des Saules a également surpris sa maison de disques. Sans souhaiter nécessairement une suite logique à Petites victoires, l’équipe pilotée par le rappeur – et coréalisateur de l’œuvre – Anodajay se disait «préoccupée» par les premières maquettes reçues. «Bref, il y avait une petite peur», résume Korey qui a tout de même gardé le cap. Tout en occultant le mot «dépression» de ses nouvelles rimes, celui-ci allait susciter son spleen tout en concoctant, avec son arrangeur Ruffsound ainsi que des invités de la trempe de Kaytranada, Ajust et Claude Bégin, des beats appelant aux déhanchements. «J’avais cette idée en tête et je savais aussi que ce serait quand même assez varié. Même si c’est un album très différent de Petites victoires, c’est un disque qui touche plusieurs vibes différentes. Les gens vont s’y retrouver quand même!»

«Pas un gangsta rapper, je suis un Instagramer.» (Koriass, sur Sorry)

Lorsqu’on lui demande si sa «nouvelle direction» ne lui permettrait pas de se distinguer par la bande de la mouvance rap locale, Koriass ne bronche pas. «Ce n’est pas vraiment pour me distinguer. Après tout, je collabore avec Loud Lary Ajust. J’adore ce qu’ils font et comment ils abordent ça. C’est vraiment sincère. Je parle d’infidélité sur Devenir fou, où je pète carrément une coche, puis je revois mes priorités sur Les années. Ce n’est pas gratuit non plus. Il y a une progression.»

Tant qu’à mentionner ses compagnons d’armes, quel bilan le MC jouant sur différents plans (on a autant vu le bonhomme à Osheaga que lors de joutes verbales Word Up! Battles et il revient d’une vitrine en France où on lui a confié que la tendance actuelle est particulièrement hargneuse) dresse-t-il de son genre de prédilection ces jours-ci? «La scène locale se porte mieux que jamais!», tranche-t-il. «Ce qui sort en ce moment est aussi unique que créatif. On a droit à quelque chose de très singulier: les artistes « maturent », les influences sont plus grandes, le son est plus défini et ça résonne à l’international, surtout avec les beatmakers, avec les KenLo et compagnie.»

Rue des Saules (7e Ciel)

En magasin le 12 novembre

Album en écoute sur voir.ca.