Tanya Tagaq : Embrasser la folie
Culture autochtone

Tanya Tagaq : Embrasser la folie

Tanya Tagaq est un esprit libre comme il s’en fait peu et embrasse son humanité, sa féminité et ses origines avec aplomb.

Elle a grandi dans le petit village de Cambridge Bay, au Nunavut, un lieu isolé du reste du monde, où elle a appris à vivre, à écouter et  surtout  à chanter. Celle qui a, depuis, visité 36 pays différents est devenue l’une des plus surprenantes et magnifiques chanteuses de gorge au pays. Son plus récent disque, Animism, s’est taillé une place sur la courte liste du prix Polaris, cette année, et est promis à un grand succès.

Pour la musicienne qui a collaboré autant avec Björk que le Kronos Quartet, la musique demeure ce fil conducteur qui lui permet de faire partie du monde. À preuve, la reprise de la pièce Caribou des Pixies, en ouverture d’Animism: «Quand j’étais une petite fille, je vivais au Nunavut, entourée de caribous, bien sûr. Et quand j’ai déménagé dans le sud du Canada, je me rappelle avoir entendu cette pièce pour la première fois et avoir pensé que c’était la chose la plus cool au monde: à ce moment, j’ai réalisé que je faisais partie du monde, car, si les caribous le peuvent, je peux l’être aussi, et pas seulement au Nunavut.»

Altérer, changer, adapter

Prompte à aborder des sujets chauds tels que le colonialisme, le racisme, la violence, les changements climatiques, la sexualité, le féminisme, et bien plus, Tanya Tagaq fait passer son message au travers une série de compositions très imagées, le plus souvent improvisées, où le chant de gorge traditionnel devient porteur d’un discours actuel, parsemé de grognements, de sensations, de cris, d’émois et de vérités balancées en musique.

«J’ai remarqué que le Canada aurait besoin d’ajustements. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ces sujets et avoir ces idées. Je suis très heureuse que d’autres pensent de la même manière. Je crois qu’avec la musique, c’est le canevas parfait pour ouvrir la discussion et les esprits. Au lieu de pointer du doigt et crier à la tête des gens à propos du colonialisme, j’ai réalisé que la meilleure chose à faire était non pas de ne rien dire, mais plutôt de montrer aux gens ce que ça fait de vivre ces choses-là, ces injustices. Et si les gens souhaitent en savoir plus, ils ont l’intelligence et la débrouillardise nécessaires pour aller se renseigner sur l’histoire réelle du Canada, car le Canada peut être un endroit très raciste. Je souhaite donc propager le message, mais avec des mots et des actions positives, dans ma propre culture et à l’extérieur de celle-ci.»

Lorsqu’on aborde les actions de groupes musicaux tels que A Tribe Called Red, Tanya Tagaq insiste pour que son message reste clair et différent. Si elle rappelle qu’elle ne joue pas dans les mêmes ligues en affirmant le côté expérimental et marginal de sa branche musicale – «c’est l’équivalent de la poésie pour la littérature: je suis déjà impopulaire!», lance-t-elle avant d’éclater d’un grand rire coquin et vrai, qu’elle répétera tout au long de l’entrevue , elle insiste aussi pour ne pas négliger ses origines, très importantes dans sa création: «C’est important pour moi d’être le plus Inuk possible, car le chant de gorge est tellement rattaché à ma culture que je ne voudrais pas lui manquer de respect en disant "ce n’est pas moi". J’aime dire que je suis Inuk, mais je veux aussi être vue comme une musicienne et être jugée par la manière dont je crée des sons.»

De la scène au Polaris

«Ça, c’est juste fou!», s’exclame Tagaq lorsque vient le sujet de sa récente nomination sur la courte liste du prix canadien. «C’est comme… as-tu déjà vu Revenge of the Nerds

C’est par cette question que Tanya Tagaq tente de comprendre sa nomination. «Tout au long de ma carrière, j’ai toujours travaillé en disant "Fuck everybody!" et "Merde à ce qui est populaire!" Je vais juste faire exactement ce qui me tente et fuck everyone!", alors c’est presque drôle que les gens aiment ça. Je suis très heureuse, mais ça demeure très drôle, car je n’essaie pas de rendre ma musique jolie ou qu’elle sonne bien. Je suis sincèrement heureuse quand les gens me disent qu’ils aiment ce que je fais, car ça me fait croire que je suis un petit peu moins folle!», lance l’artiste avant de repartir à rire d’un éclat de folie, d’un rire fou et entraînant.

«Nous essayons tellement de bien paraître, tous les jours, alors que c’est complètement faux. J’essaie de forcer l’acceptation de soi pour ne pas que nous soyons gênés de nos idées, de notre sexualité, de notre féminité, d’être en vie. Ça me rend triste que les gens, dans notre société, tentent toujours d’avoir l’air impressionnant. Et c’est ce que j’essaie de dire dans ma musique: "Fuck it!" Et c’est ce que le Polaris signifie, pour moi: je suis contente que les gens apprécient le "Fuck it!" et je ne ferais pas ce que je fais si je ne ressentais pas que je devais le faire.»

Animism (Six Shooter Records) est présentement dans les bacs. tanyatagaq.com