Lagwagon : Fidèle, tenace et fraternel
Musique

Lagwagon : Fidèle, tenace et fraternel

Près d’une décennie après le lancement de Resolve, son septième album, Lagwagon refait surface avec Hang, une œuvre qui change la donne.

Lagwagon tient désormais de l’anomalie. Près d’un quart de siècle après sa création, le combo punk rock est 1, toujours vivant; 2, privilégie le nouveau matériel aux éditions anniversaires de ses succès d’antan (quoique…) et 3, fait fi de l’état actuel de l’industrie en espaçant ses parutions.

Alors que plusieurs de ses congénères et admirateurs bombardent les mélomanes de pièces produites puis tweetées sur un coin de table, le chanteur et parolier Joey Cape, lui, se permet un égotisme qui, au final, va plutôt bien à son projet. «On ne fait pas d’albums souvent, car on veut s’assurer qu’on en fera un bon avant de se lancer. D’un côté, ça peut frustrer certains fans, mais, de l’autre, ça fait en sorte que je suis fier de chaque album qu’on a lancé à ce jour», fait valoir le leader à l’autre bout du fil. Une assurance — et une expérience — qui fait également en sorte que les jours précédant la parution de Hang — 8e LP de Lagwagon — ne lui pesaient pas trop sur la conscience. «J’espère que ça n’a pas l’air trop ingrat. J’veux dire, j’espère que les gens vont aussi l’aimer, mais je ne ferai pas de nuits blanches si ce n’est pas le cas. Moi, je l’aime en tout cas!», poursuit-il dans un éclat de rire.

Made Of Broken Parts http://www.youtube.com/watch?v=6kOiBNrsDlw&index=2&list=PL_uD5vh8_aM5Q5bcC2kXoWx6PSl6IOfKA

Réaction chimique

Bien sûr, Lagwagon — et Cape, tout particulièrement — n’a pas chômé depuis Resolve. En plus de produire un maxi et un coffret, le groupe a mis les bouchées doubles dans les tournées alors que son chanteur, lui, cumulait violons d’Ingres (Me First & The Gimme Gimmes, par exemple), projets solo et d’affaires (on y reviendra). «Je préciserais que les “side projects” ne ralentissent en rien le groupe», tranche-t-il lorsqu’on lui demande si ces passions pourraient peser sur Lagwagon. «C’est juste que je suis très créatif. J’écris tout le temps et le fait est que certaines de ces chansons cadrent davantage avec d’autres projets que Lagwagon. Bien sûr, on pourrait quand même tenter le coup, mais je crois qu’au final, ça donnerait quelque chose qui n’est pas à l’image de Lagwagon, le collectif. Il faut dire qu’il nous est arrivé d’enregistrer des trucs composés pour Lagwagon et qui ont finalement été jetés aux poubelles parce qu’on se disait… «ouin, ce n’est pas si bon finalement!» Je ne veux plus faire ça!»

Pour la petite histoire : les bases de Hang auraient été placées il y a deux ans, alors que je le groupe promouvait sur scène un coffret de sa discographie. «On dirait que la chimie d’antan est revenue pendant cette tournée. C’est là que la fameuse ampoule est apparue au-dessus de ma tête. J’avais maintenant une bonne idée de ce que je voulais composer pour le groupe : plutôt que d’arriver avec des pièces quasi complètes, je leur ai proposé mon matériel beaucoup plus tôt dans le processus. Les gars ont aussi amené de leurs compositions. C’est sûrement un de nos albums les plus collaboratifs du lot. On en sort vraiment tous satisfaits.» Et, juste pour enfoncer le clou, Joey d’ajouter : «Ça valait vraiment la peine d’attendre!»

A Cog In The Machine http://www.youtube.com/watch?v=nChsic9xYf8&index=3&list=PL_uD5vh8_aM5Q5bcC2kXoWx6PSl6IOfKA

Un nouveau monde plus brave

En résulte donc une œuvre aux influences plus bigarrées. Si Lagwagon est devenu, au fil des années, une des figures de proue de la mouvance skate punk, le collectif brasse sa propre cage sur Hang en pointant vers des références plus hardcore, voire métal (l’extrait A Cog In The Machine en témoigne tout particulièrement). Joey Cape, lui, voit ce nouveau son d’un œil quasi darwiniste : «Nous n’avions pas vraiment de plan. Nous ne sommes pas vraiment du genre calculateur. Nous ne sommes pas très bons en calculs, en fait», lance-t-il, pince-sans-rire, quand on lui demande si cette direction est, en fait, un geste calculé.

«C’est amusant que tu mentionnes A Cog In A Machine, car c’est sûrement la plus collaborative du lot — et la dernière qu’on a terminée», poursuit-il. «Non seulement tout le monde y a mis du sien, mais tout s’enchaînait à merveille. C’est peut-être la plus “brave” aussi. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais on sentait qu’on tenait de quoi de “spécial” avec. Dans le sens que ça ne sonne pas comme ce qu’on a fait auparavant… et que ça pourrait bien être le noyau de notre son actuel. C’est loin de ce qu’on pouvait faire auparavant, mais peu importe.» Puis, une pause, et Cape de glisser: «Les gens changent, tu sais!»

Western Settlement 

L’après Thom Yorke?

En marge de Lagwagon et de ses nombreuses occupations, Joey Cape s’est également lancé dans une autre aventure : une nouvelle étiquette. Des années après l’entrée en fonction — puis la dissolution — de My Records, son premier label, le chanteur, guitariste, parolier et réalisateur (pour ses propres projets, mais aussi pour des formations comme The Ataris) revient à la charge avec One Week Records, une maison de disques — voire un concept — qui pourrait bien secouer l’industrie.

Le procédé est plutôt simple: contre rétribution, un artiste s’installe chez Cape pendant une semaine pour une expérience de mentorat et de production aboutissant vers une œuvre acoustique. «J’ai une petite aversion pour le courant surproduit du moment», poursuit le producteur. «Va pour corriger quelques trucs de temps en temps, mais c’est maintenant hors de contrôle! J’en viens à préférer les démos enregistrés sur téléphone portable qu’on m’envoie parfois pour avoir mon avis! Parce que c’est sincère et parce que c’est la version de la chanson avec laquelle je suis tombé en amour.» Plus tard, Cape se confortera en faisant valoir que le succès de projets comme les sessions Daytrotter (ou, plus près de nous, les concerts pour emporter de La Blogothèque) le laisse croire qu’il n’est pas le seul à préférer l’authentique au son poli. «En une semaine d’enregistrement, on n’a pas le temps de surproduire. Je n’ai même pas Autotune! Il faut donc faire des choix cruciaux et, mine de rien, être créatif pour ne plus en dépendre. Bien souvent, les invités réalisent qu’ils éliminent des trucs dont ils n’avaient finalement pas besoin.»

Bien que le modus operandi surprend par sa simplicité presque inusitée de nos jours, Joey Cape voit One Week Records comme un pèlerinage en quelque sorte. «C’est aussi un retour aux sources quelque part», explique-t-il avant d’y aller d’exemples : «beaucoup de préproduction, de discussions autour des chansons, des arrangements, de quelles pièces on enregistrera du lot de l’artiste, etc. Je leur dis ce que j’en pense et, ensuite, ils en font ce qu’ils veulent. À ce jour, ça se passe très bien!» Du même souffle, l’homme fort de Lagwagon mentionnera que One Week Records est également une fenêtre sur son quotidien d’artiste pour sa famille. «J’veux dire, ma fille sait que je suis musicien, mais pas vraiment ce que je fais. Alors quand je ramène, par exemple, un Jo Bergeron [NDLR : un musicien de Québec qui a tenté l’expérience] à la maison et que celui-ci vient passer une semaine à jouer de la musique, manger des repas avec nous, etc.; c’est comme si je ramenais Iggy Pop pour ma famille! C’est excitant pour tout le monde chez nous!»

Alors que Thom Yorke et Radiohead ont trouvé le moyen de court-circuiter l’industrie du disque via le Web, est-ce que Cape considère tenir une solution afin d’éviter que l’éreintante scène soit la seule planche de salut des musiciens expérimentés qui peuvent également offrir une vitrine et du mentorat dans un cadre aussi économe qu’ergonomique? «Je ne sais pas. J’imagine que ça pourrait être une avenue, mais — en ce moment — je préfère voir ça comme une aventure très plaisante et, surtout, bien personnelle.»

Hang est paru sur Fat Wreck Chords le 28 octobre. Lagwagon sera en concert le 29 novembre au Ritual (Ottawa), le 30 à l’Olympia (Montréal) et le 1er décembre à l’Impérial (Québec).