Tire le coyote: Plan large
Musique

Tire le coyote: Plan large

Benoit Pinette sort un troisième album sous son nom de scène, Tire le coyote. Un nouveau disque folk-country fort beau sur lequel il dresse un panorama de notre société tout en se posant de sérieuses questions sur notre avenir. 

VOIR: Lors de la sortie de ton premier album, tu disais que tu n’aimais pas passer trop de temps en studio. D’après ce que j’ai lu sur ce nouvel album, ç’a a pris quelques jours seulement. Ça n’a donc pas vraiment changé?

Benoit Pinette: J’aime bien arriver en studio préparé. Tsé, je vais pas là pour expérimenter. On pratique les tounes avant et on enregistre tout ça live ce qui fait que c’est moins long et que y’a pas de temps morts. Ce que j’aime pas en studio c’est quand on attend, y’a plein de changements de micros parce que t’enregistres les instruments un après l’autre. Dans ce sens-là, enregistrer live me va à merveille parce que c’est rapide. Mais pas tout est live quand même. Quand je parle de live, c’est le quatuor de base – basse, drum, moi et guitare – après ça, les musiciens qui jouent moins souvent avec moi le font en overdub, comme le pedal steel et la clarinette. Mais non, ç’a pas changé à ce niveau-là, c’est clair.

VOIR: Le titre, Panorama, c’est un mot qui se retrouve dans le texte de la chanson La fille de Kamouraska. J’ai senti que c’est utilisé dans le sens d’un panorama de notre société, société qui ne va toujours bien.

BP: Oui. Y’a aussi le fait que c’est un album qui a été – contrairement aux autres que j’ai fait – composé plus sur la route. Après Mitan [ndlr: 2e album de Tire le coyote, 2013], c’était assez nouveau pour moi de faire une tournée complète de tout le Québec, ce qui fait que y’a ben des tounes qui ont été composées ou commencées sur la route. On retrouve beaucoup de mentions de villes ou villages du Québec (Kamouraska, Rouyn-Noranda) et c’est un peu cet éventail-là, le panorama du Québec, de l’aspect social du Québec. Je pense qu’il y a un côté plus engagé dans mes tounes sur cet album-là. Aussi, y’a le fait que je suis allé explorer les racines du blues sur certaines tounes, ce qui fait que c’est un autre éventail à mon folk-country habituel. Ça devenait une vue d’ensemble de mes influences folk.

VOIR: C’est un disque sur les regrets mais aussi l’espoir, je trouve. Quand le propos est un peu plus lourd, y’a toujours une éclaircie à la fin de la chanson.

BP: On dit souvent que j’ai une écriture mélancolique et nostalgique et down sur ben des tounes, mais c’est ben ben rare que je reste là-dessus. Y’a souvent au moins une notion d’espoir à la fin. Je me pose ben des questions dans la vie, tsé! Pas juste dans ma vie personnelle, mais dans l’aspect social: où on s’en va en tant que société, en tant que monde. Ça, c’est mon côté peut-être pessimiste, mais j’ai de la misère à rester là. En même temps, y’a toujours une petite partie de moi qui veut que l’espoir reste là et que ça change, que des belles choses arrivent. J’imagine que ça paraît dans les textes aussi.

VOIR: Tu fais aussi un genre de commentaire socio-politique sur Les miracles se vendent à rabais quand tu dis que tu voudrais qu’on détrône Harper…

BP: J’avais quelques tounes de plus pour l’album. Y’en a quelques-unes qui sont sur l’album qui ont des propos plus politiques, surtout celle-là. Je peux pas faire autrement. Je trouve trop qu’on est dans une période morose et complètement déconnectée de ce qui a été construit dans les dernières décennies. Je trouve qu’on est en train de tout détruire ce qui a été fait et d’oublier ce qu’on est. En studio, un technicien m’a fait remarquer que le mot «avenir» revenait beaucoup, dans pratiquement la moitié des tounes. Y’a probablement une préoccupation à ce niveau-là. J’avais besoin de sortir ça, d’en parler. Ça fait partie de l’évolution aussi. Le projet Tire le coyote ç’a a commencé avec un EP hyper-personnel. De plus en plus, tu veux rester fidèle à ton style, mais aussi t’ouvrir à ce qui se passe autour. Je pense que je suis rendu là dans l’évolution de la chose, d’essayer d’ouvrir ça et de ne pas être nombriliste dans mes propos; de s’ouvrir aux autres et à ce qu’on est en tant que groupe de personnes. J’ai deux enfants et j’ai remarqué un changement à ce niveau-là quand je les ai eus. On dirait que j’ai commencé à me projeter un peu plus dans l’avenir et dans ce qu’on allait devenir en tant que société. Une espèce de volonté de laisser quelque chose de beau et de bon pour ceux qui vont grandir. À ce niveau-là, je dirais pas que personnellement c’est un changement, mais il y a une préoccupation supplémentaire.

VOIR: Le texte de Rapiécer l’avenir est très touchant. C’est comme une fable d’un homme déchu?

BP: Je me considère comme quelqu’un qui se pose ben ben des questions. Des fois, j’ai de la misère à arrêter le cerveau de fonctionner, sur le sens de ce qu’on fait pis de ce qu’on est. Si y’a un sens que je trouve à la vie et à l’existence, ce que j’ai trouvé beau – depuis que je suis ben attaché à l’Isle-aux-Coudres et à Charlevoix – c’est inspiré par le père d’un vieil ami qui a été marin. Il partait souvent 5-6 mois sur le bateau et revenait 2 mois. Mon ami ne l’a pas vu ben ben quand y’était jeune. Là, il est rendu à quasiment 70 ans ce bonhomme et c’est comme si y’avait une conscience qu’il n’avait pas. Quand on vieillit, y’a la volonté de laisser des traces. C’est comme si tu te rendais compte à un moment donné que le sens de ton existence, c’est de laisser une trace positive à ceux qui vont suivre. Le point de départ de cette chanson, c’est ça. Il se rend compte qu’il n’a pas été aussi présent qu’il aurait pu l’être. Y’a un regret qui s’installe, mais encore une fois cette chanson se termine sur une note d’espoir. «Si on déterre un peu d’histoire / on peut rapiécer l’avenir». C’est comme de réussir à remodeler ces souvenirs-là pour en faire quelque chose de beau et de retenir les belles choses qui sont sorties de ça.

VOIR: Tu sembles vouloir incarner un genre de sauveur sur quelques pièces aussi. Sur Les miracles se vendent à rabais, tu dis «Je me ferai ninja en transe» et sur Jolie Anne, tu veux te sauver sur la route avec une fille qui n’a pas nécessairement d’avenir ou de possibilités.

BP: C’est sûrement pas volontaire! Je ne me considère pas un sauveur, loin de là! J’étais intervenant dans un centre pour jeunes ados et adultes en difficulté, ce qui fait que ça m’a bien nourri quand même dans l’écriture de cet album-là. Jolie Anne est un exemple de ça. Le sauveur est au «je», mais en quelque part, ce n’est pas nécessairement moi. C’est de démontrer que ces personnes-là ont le besoin de se rattacher à des gens ou à des exemples plus positifs de ce qu’ils ont pu avoir dans le passé. Ils ont besoin de réconfort pour remodeler leur personnalité et le pattern qu’ils ont développé au cours des années.


VOIR: Y’a plein de phrases imagées et fortes dans les textes, comme: «On a longtemps perdu nos repères / la mode était à l’autruche» (Les miracles se vendent à rabais), qui démontre comment tu peux, avec qu’une phrase, en dire beaucoup. Est-ce que ça te vient facilement ce genre de phrase?

BP: C’est ben rare que je sais ce dont je vais parler avant de commencer à écrire. Je ne crois pas trop à l’inspiration, je crois plus au travail. J’attendrai pas d’avoir une idée de texte avant d’écrire. Souvent ça part d’image et de phrase comme ça et c’est ce qui guide la suite du texte. J’ai besoin de ces phrases fortes pour débuter un texte. Des fois, c’est des flashs. Ce texte, c’est parti de l’image de l’autruche qui se met la tête dans la terre pour rien voir. Et ça m’a fait un peu penser à nous en tant que peuple et société qui reste ben patient et qui fout rien face aux gens qui nous gouvernent. Quoique ça commence à changer! Ç’a a guidé l’idée de faire un texte un peu plus engagé qui est devenu cette chanson-là.

VOIR: Un mot qui revient souvent quand on parle de ta musique, c’est évidemment le mot authenticité, pour les mots, la voix, les instruments choisis, etc. Est-ce que c’est un défi pour toi de continuer à rester le plus authentique possible? Est-ce que tu pourrais te permettre un jour d’avoir des synthétiseurs, par exemple, dans ta musique ou est-ce que ce serait un sacrilège de faire ça?

BP: Ça devient un peu galvaudé comme mot dans le sens où être authentique, c’est quoi, dans le fond? Tout le monde en quelque part essaie de faire ce qu’ils aiment et ce qui est proche d’eux. Donc je ne sais pas trop quoi penser par rapport à ce mot-là. Je ne me mets aucune barrière et c’est pas plus difficile de rester authentique. Ce que j’essaie de faire avec ce projet-là et avec mes tounes, c’est d’être le plus honnête possible avec moi-même. À un moment donné, il faut que ce soit des choses qui me touchent parce que d’écrire sur des sujets avec une légèreté, j’ai ben de la misère à faire ça. Il faut que j’aie au moins un petit soubresaut de joie quand j’écris – «OK, là j’suis content d’avoir trouvé cette image-là»! Donc je ne pense pas que ça devient difficile d’être authentique parce que j’essaie toujours de me surprendre moi-même et d’être le plus près de moi. Je suis la personne que ce que je connais le plus donc c’est pas difficile de faire les choses qui sont près de moi.

Au niveau des instruments, j’ai toujours été attiré par le côté acoustique de la musique. Les seuls instruments, je pense, qui traversent bien les années, ce sont les instruments acoustiques. C’est pas des modes, le piano ou la guitare acoustique. Ça va toujours rester. Y’a une espèce de volonté inconsciente de faire quelque chose qui va quand même bien s’écouter dans 10 ans. Ça reste le défi, je pense, encore aujourd’hui, puisque les styles et modes changent très rapidement.

Panorama (La Tribu) disponible dès aujourd’hui

Dates de spectacles et infos: tirelecoyote.com

Lancements: le 27 janvier 17h à La Quincaillerie – Montréal // Le 28 janvier au Café Babylone – Québec