Les Rivard: Accord père et fils
Musique

Les Rivard: Accord père et fils

Rencontre avec Michel Rivard et Antonin Mousseau-Rivard, de retour en duo au festival Montréal en lumière.

Tout comme son père, Michel Rivard, qui a connu la gloire à l’âge d’or du folk rock québécois, Antonin Mousseau-Rivard vit aujourd’hui un succès bien propre à son époque, soit celle du vedettariat des chefs et du règne des réseaux sociaux. À 31 ans, sa feuille de route impressionne. Chef propriétaire du Contemporain, table du Musée d’art contemporain, il participe activement au festival Montréal en lumière, dont la 16e édition aura lieu du 19 février au 1er mars, depuis maintenant quatre ans. «On m’avait demandé d’être dans le comité consultatif, comité formé de plusieurs chefs influents de Montréal (Jérôme Ferrer, Patrice Demers, Helena Loureiro, Laurent Godbout…), pour représenter la relève des restaurateurs, pour apporter de nouvelles idées.»

C’est l’une de ces nouvelles idées qu’il a eue l’année passée, en élaborant avec son père une soirée inusitée réunissant leurs passions respectives. Le concept, qui transforme le père en troubadour tandis que le fils s’affaire aux fourneaux, incarne à la fois les volets interdisciplinaire et intergénérationnel du festival. «Je trouvais qu’on ne jumelait pas assez la musique et la gastronomie, qu’il y avait un manque de cohésion. Avec Michel qui chante et moi qui cuisine, on touche vraiment à tous les aspects, ça ne peut pas être plus complet comme événement», considère Antonin.

D’après le vif succès suscité l’an dernier, la formule a plus que plu. «Je me promène entre les tables et j’offre des chansons aux gens», explique Michel. «J’ai toujours aimé me retrouver dans ces situations où les gens viennent nous chanter à table, comme les chanteurs dans les tout-compris à Cuba qui rejouent toujours les mêmes trois chansons!», raconte-t-il, amusé. «Il y a quelque chose de beau là-dedans, de spontané. Au lieu de me contenter de chanter sur scène pendant le repas, j’avais le goût de participer à l’excitation de la restauration. Je voulais être sur le plancher moi aussi».

Quant à Antonin, il s’inspire des œuvres de son père pour créer les siennes, avivant encore plus l’harmonie entre musique et gastronomie. «J’ai choisi des chansons qu’on s’attend à entendre dans un concert de Michel Rivard. Il ne fallait pas que ce soit trop obscur, je n’ai pas cherché la dernière du côté B d’un disque d’il y a trente ans…»

«Elle est bonne celle-là, pourtant!», l’interrompt son père à la blague.

«S’inspirer d’œuvres en cuisine est un exercice vraiment amusant, mais qui demande un travail de fou», reprend Antonin. «Je l’ai déjà fait avec la peinture, je faisais des dégustations en lien avec des œuvres. Je passais mes soirées sur internet à regarder des listes et des listes de noms de tableaux pour en trouver d’intéressants. Et pas n’importe lesquels, je cherchais des automatistes, puis des surréalistes…», se rappelle-t-il. «C’est pareil en chanson; tu ne peux pas juste choisir Je voudrais voir la mer et servir un morceau de poisson! Il faut que ce soit recherché. L’an passé, j’avais fait un os à moelle pour Sourire de chien, par exemple.»

Aussi ardu soit-il, le défi lui plaît visiblement. «Je m’intéresse beaucoup aux arts en tant que tels», précise-t-il. «J’ai un background de dessinateur. Mousseau [il est le petit-fils du peintre Jean-Paul Mousseau] m’a toujours beaucoup inspiré.» Antonin a lui aussi fait ses preuves en musique à une certaine époque, faisant encore partie du collectif hip-hop K6A avec, entre autres, Maybe Watson (Alaclair Ensemble, ondejeune.com) avec lequel il organise d’ailleurs un autre événement dans le cadre de Montréal en lumière. «J’ai touché à tout ce qui est artistique du mieux que je pouvais, mais à un moment donné, j’ai dû faire un choix. Mon cœur est en cuisine.»

Pas de doute là-dessus, il a bel et bien hérité de l’amour du métier de son père qui lui, semble y tirer toujours autant de plaisir. «J’adore le concept de sortir sa guitare n’importe où et d’avoir du fun en se mettant à jouer. Je viens du 20e siècle, moi, de la génération des feux de camp!», rigole Michel. «Ce n’est pas quelque chose que je réserve aux spectacles. Je n’ai jamais perdu la raison pour laquelle j’ai commencé à jouer au tout départ, quand j’étais étudiant et que je traînais ma guitare entre les cours et dans la cafétéria. Chez moi, je la sors rendu au dessert ou quand je reçois des gens à souper… Comme ça, ils sont obligés de m’écouter!»

Une chose est sûre, les invités de la soirée du 21 ne se feront pas prier pour l’écouter. «L’an passé, tout le monde est venu me dire que ça n’arrive pas dans une vie, ça, d’avoir un chanteur qu’on aime bien venir jouer à sa table», raconte son fils. «Quand les gens vont voir un spectacle, ils ont toujours l’impression que le chanteur les voit, mais il a les spots dans les yeux! Là, le contact est direct. C’est l’une des rares fois où ils pourront vivre quelque chose d’aussi intimiste.»

Une intimité toutefois loin d’être facile à atteindre. «Comme les gens qui ne sont pas dans la section où je chante continuent de parler, il y a toujours une rumeur de fond», décrit Michel. «Il faut donc que je projette ma voix, comme un chanteur de rue. Mais j’aime l’expérience de ne pas me produire dans des conditions idéales, c’est un bon exercice. À la fin de la soirée, j’étais vidé, mais il faut croire que je suis game puisque je vais le refaire!» En septembre dernier, d’ailleurs, il s’improvisait chansonnier de métro incognito à Paris, pour un projet du réalisateur Dominique Laurence.

À l’instar de son père et contrairement à bien des chefs de sa génération, Antonin n’aspire pas à une notoriété personnelle: «Je veux que ma cuisine ait de la visibilité, je ne veux pas nécessairement un show à la télé…» Et son père de renchérir: «C’est parce que tu as été élevé comme ça. Ce que j’aimais le plus, ce n’était pas d’être connu, c’était de faire mon métier», poursuit-il. «C’est l’aspect artisanal qui me fait le plus tripper et je suis content d’avoir transmis ça à Antonin. C’est passer du temps dans mon studio et inventer de nouvelles affaires. On n’écrit pas une chanson pour la popularité qu’elle va avoir, on écrit une chanson parce qu’il faut que ça sorte, de la même manière qu’Antonin fait ses plats. On a le même rapport à ça, la célébrité n’est pas un but en soi, c’est un accessoire, un moyen qui va permettre de remplir mes salles et lui, ses restaurants.»

Il va faire cinq ans qu’Antonin est au Contemporain et bien qu’un restaurant de musée soit un premier canevas – pour faire un jeu de mots douteux – idéal pour un chef, il ne laisse ironiquement pas une grande place à la créativité. C’est pourquoi il ouvrira au printemps prochain le Mousso, un établissement convivial au coin d’Ontario et d’Amherst. Bien qu’il ne délaissera pas pour autant le resto qui l’a fait évoluer, pour reprendre ses mots, il verra cette nouvelle adresse lui allouer la fantaisie qu’il pouvait jusqu’alors moins se permettre, comme le laisse présager l’audacieuse crème glacée aux pétoncles salés et au lait caramélisé avec choux-fleurs à propos de laquelle il nous a glissé un mot. Patientez d’ici là en passant le voir en tandem avec son père le samedi 21 février à 19h.

 

Certaines places sont encore disponibles sur bookenda.com/le-contemporain

Michel Rivard sera en tournée au Québec en mars et en avril: michelrivard.ca

Suivez les œuvres culinaires d’Antonin et les derniers développements du Mousso sur Instagram: @lemousso

 

Entrevue effectuée en collaboration avec Valérie Thérien.