Myriam Gendron: L'enivrant goût des larmes
Musique

Myriam Gendron: L’enivrant goût des larmes

Il y avait déjà de la musique dans les poèmes de Dorothy Parker. Myriam Gendron en révèle toute la défiante beauté avec un premier album, Not So Deep As a Well

«Lips that taste of tears, they say, / Are the best for kissing», écrivait en 1936 Dorothy Parker. Traduction libre: les lèvres qui goûtent les larmes, sont les plus agréables à embrasser. Ce sont les premiers mots que lit Myriam Gendron en feuilletant dans la foisonnante section poésie de la bouquinerie montréalaise The Word le recueil Not So Deep As a Well. La libraire, qui œuvre au cœur des rayons de la chaleureuse boutique Le Port de Tête, était entrée là au hasard de ses déambulations, pour jeter un œil curieux à ce qui se tramait chez les collègues.

«Ces deux vers-là sont magnifiques, et j’adhère complètement à cette idée, confie-t-elle aujourd’hui. Je pense que quelqu’un qui n’a pas souffert est beaucoup moins intéressant et beaucoup moins l’fun à aimer.»

De retour à la maison avec le livre sous le bras, Myriam apprivoise lentement, comme on apprend à connaître une amie, les rimes de la mythique femme de lettres, très célébrée aux États-Unis pour ses aphorismes au tranchant bien aiguisé, moins pour les douloureux poèmes de rupture consignés dans ce recueil qui tente de baliser les insondables profondeurs de la perte de l’autre. Avec cette guitare dont elle jouait depuis presque toujours, bien que rarement en public, elle entreprend dans sa chambre à coucher de révéler les chansons déjà en germe dans ces vers sans doute eux aussi rédigés dans une chambre à coucher.

«Il m’est peut-être arrivé de parler de coup de foudre pour décrire ma relation avec Dorothy Parker, mais ce ne sont pas les bons mots, précise Myriam. C’est vraiment venu tranquillement. Au début, j’étais simplement habitée par le plaisir d’écrire des chansons. Dès que j’ai lu le premier poème, j’ai entendu de la musique. C’est une poésie très musicale, avec des vers réguliers, et il y a souvent quelque chose qui ressemble à des refrains. Je ne veux pas surtout suggérer que je complète son travail, mais je sentais que j’avais son autorisation. Je suis entrée dans son univers et j’ai vraiment l’impression maintenant de la connaître.»

Nombreux seront nos ennemis

Lancé numériquement en mars dernier par l’étiquette américaine Mama Bird Recording, Not So Deep As a Well, premier album de Myriam Gendron, brille d’une beauté défiante, propre à celles qui sont revenues de tout et qui n’ont plus que la tristesse et des amis malveillants à qui s’en remettre. La Montréalaise chante sur des musiques folk joliment austères la douleur d’une écrivaine anéantie qui, couchée en cuillère avec la mélancolie, goûte chacune des secondes de chagrin qu’elle traverse, chacun des coups de couteau qui lui inflige le désespoir. Celui qui portait hier le masque de l’amour révèle aujourd’hui sa véritable nature carnassière («Scratch a lover / Find a foe»).

Un peu drama queen, la Dorothy? Oui, mais elle n’en est pas dupe. Dorothy Parker est une drama queen consciente d’à quel point elle est drama queen. Le goût des larmes l’enivre.

«C’est ça qui est le fun: à toutes les fois où ça pourrait devenir trop lourd, trop pathétique, paf!, elle rattrape tout ça avec une petite pointe d’humour, explique Myriam. Elle rit beaucoup d’elle-même et ça rend la chose acceptable.» En d’autres mots: l’autodérision de Dorothy Parker aurait fait d’elle une suave usagère des réseaux sociaux (elle préfigure en quelque sorte l’ironie 2.0 des mèmes). La lumière qui se fraie un chemin à travers les ténèbres de ses confessions lui donne par ailleurs des airs de grande sœur de Leonard Cohen ou de grand-mère de la défunte poète Geneviève Desrosiers.

Alors que son album reparaît ces jours-ci en format physique (avec deux chansons bonus), Myriam Gendron se fait tranquillement à l’idée de cette nouvelle vie d’artiste à laquelle elle n’aurait jamais osé rêver et à laquelle elle n’aurait jamais goûter, n’eût été de cette petite librairie. «Je n’aurais pas trouvé ça par hasard sur Internet, et même si j‘étais tombé sur des poèmes de Dorothy Parker en ligne, le fait que ce ne soit pas un objet ne m’aurait pas donné envie d’écrire l’album. Je les ai tournées et tournées, les pages, pour trouver le bon poème.» On les imagine aussi écornées que le cœur de Dorothy.

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Not So Deep as a Well (réédition, Mama Bird Recording Co.), disponible le 3 mars.

Concerts: Le 1er mars à 20h au Petit Chicago // Le 4 mars à 20h30 à la Casa Del Popolo // Le 21 mars en première partie de Mark Berube au Cercle à Québec

myriamgendron.tumblr.com