Chilly Gonzales: Romantique après tout
Musique

Chilly Gonzales: Romantique après tout

Chilly Gonzales se réinvente en compositeur de musique de chambre sur Chambers, son premier album enregistré avec un quatuor à cordes. Cours 101 sur l’ère romantique avec le plus swag des profs. 

Sa vision de la musique en est une d’extrêmes réconciliés, de contrastes joyeusement revendiqués, de frontières abolies par le piano. Chilly Gonzales le souligne lui-même à l’intérieur des savantes et ludiques notes de pochette qui accompagnent son nouvel album Chambers, à quel point son oeuvre fourmille d’oxymorons. Son cultissime album Solo Piano contenait déjà un morceau intitulé Gentle Threat (c’est aussi le nom de son label); le voici qui baptise Sweet Burden (doux fardeau) une de ses nouvelles pièces enregistrées avec le Kaiser Quartett d’Hambourg.

Cher Gonzo, seriez-vous un être de contradictions? «Nous le sommes tous, répond-il au bout du fil. Les gens qui me fascinent ou qui sont mes meilleurs amis le sont, en tout cas. C’est ce qui est intéressant dans l’expérience musicale: les gens qui sont attirés par quelque chose et par son opposé. Ça me rend toujours un peu fâché quand on me dit qu’il faudrait que je choisisse entre l’Amérique et l’Europe, le passé et le présent, le superficiel et le profond, la musique commerciale et artistique, l’humour et le sérieux.»

C’est qu’il l’a appris à la dure, comment il vaut mieux embrasser tous ses désirs que de n’en choisir qu’un seul. Au sein de la formation de rock alternatif (comme on disait à l’époque) Son, Gonzales convoite à la fin des années 1990 les cimes du succès populaire avec un grand P. En vain. «Je suis heureux qu’Internet n’ait pas gardé beaucoup de traces de ce groupe. Nous étions complètement dans le commercial et c’est pour cette raison que ça n’a pas marché du tout.»

Le Montréalais d’origine déménage en Europe et découvre le rap. Épiphanie. Le musicien se défait de ses chaînes, devient cet hydre à plusieurs têtes qui rappera, oui, mais qui collaborera aussi aux albums de plusieurs de ses amis (Feist, Jamie Lidell, Peaches). Il accomplit bientôt avec Solo Piano deux tours de force: 1. il parvient à convaincre une génération de mélomanes absolument pas versés dans la musique instrumentale d’acheter un album de musique instrumentale; 2. il devient une authentique star grâce à un album de musique instrumentale. «Les rappeurs non seulement assumaient leurs contradictions, ils en étaient fiers. Pour moi, c’était une révélation que des artistes disent: « Je peux être avant-gardiste et traditionnel en même temps, je peux être un connard et une bonne personne en même temps ».»

Bach vs. Daft Punk

Chambers a beau avoir essentiellement été façonné à l’aide d’un piano et de cordes, les clins d’œil au rap y sont nombreux. Outre Switchcraft, qui repose sur une progression d’accords typique de celles des morceaux du MC américain Juicy J, Chilly Gonzales dédie Sample This à nul autre que le Teflon Don, Rick Ross. Une superposition étonnante, et forcément un brin facétieuse que celle entre hip-hop et musique de chambre, mais parfaitement logique selon Gonzo, d’après qui les racines de la musique populaire qui domine présentement les palmarès creuserait des racines profondes dans le 19e siècle romantique dont il s’inspire sur cet album.

«Il suffit d’observer Kanye West et la manière dont il amplifie ses émotions, comment il met son individualité de l’avant, pour voir qu’on est encore aujourd’hui dans l’époque romantique. C’est l’époque romantique qui a donné naissance à la culture de la célébrité. Franz Liszt, Paganini, ce sont des virtuoses qui étaient tous très torturés. On est toujours dans l’époque romantique, même si c’est un peu sur les stéroïdes maintenant.»

Chilly Gonzales poursuit ainsi sur ce très élégant album son hommage aux formes mineures de la musique classique, travail amorcé sur les deux premiers tomes de sa série Solo Piano. Il y a, pour le compositeur, une grande noblesse dans ces miniatures en apparence moins ambitieuses et souvent déconsidérées par l’institution.

«La musique de chambre, c’est la partie de la musique classique qui m’a toujours intéressée, parce qu’elle était orientée vers les non-spécialistes, les amateurs, les femmes. Ces partitions écrites par de grands compositeurs permettaient pendant le 19e siècle aux gens qui n’étaient pas dans l’élite de jouer de la musique chez eux, dans leur salon. La musique de chambre est née de cette idée que la musique appartient à tout le monde. On a ensuite décidé que c’était un art mineur et que pour être un vrai génie, il fallait composer des trucs gigantesques, des opéras, des symphonies.»

Et dites-nous, monsieur le prof, qui de Daft Punk ou de Bach, à qui vous dédiez tous deux Prelude To a Feud, remporterait ce duel, que vous imaginez?

«Bach, c’est le premier musicien à s’être engagé sur le chemin qui nous mène aujourd’hui à la culture de la célébrité musicale, à l’idée d’entertainment et d’inclusion. Parce que pour moi, l’entertainment, ce n’est pas « Give the people what they want« , ce n’est pas cynique. L’entertainment, c’est l’amour du partage. Bach est le premier qui a dû penser comme ça, quand l’Église protestante lui a demandé d’inclure les gens dans ses chorals. Les 371 chorals de Bach, c’est un treasure map de toute la musique occidentale. Je ne connais pas de séquences d’accords ou de concepts musicaux actuels qui ne sont pas anticipés là-dedans. Je suis désolé parce que Daft Punk ce sont mes amis, mais dans un feud musical, c’est sûr que c’est Bach qui l’emporte. C’est un Dieu.»

Chambers (Gentle Threat), en magasin le 24 mars, en Amérique du nord.

En spectacle avec le Kaiser Quartett au Théâtre Outremont à Montréal les 25-26 et 28 avril.

chillygonzales.com